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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu
Autoren: Pierre Naudin
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moi, j’en conviens… Cet homme-là est comme une épée versatile : à deux tranchants !
    — Ni Ogier ni moi, dit Barbeyrac, n’avions de quoi acquitter notre rançon. Nous devons d’être libres à des combats en champ clos.
    — Je n’ai pas eu cette bonne chance ; je me savais insuffisamment fortuné… Je me suis demandé ce que feraient mon épouse, ses parents, mes parents… Il m’est advenu de voir, dans mes songes, des tas de deniers d’or à l’aignel, des nobles, des monceaux de monnaie de billon [10] . Je sais que la rançon fut portée à Calais, mais je doute que ma femme et mon père y attendent mon retour.
    Ogier considérait cet homme au visage blêmi, talé, ridé précocement par les vents, les pluies, les séjours en cachot et sans doute les coups. Le plaindre eût été l’humilier, l’offenser peut-être. Tandis que Loïs de Saveuse, échappant à son examen, se mettait à marcher autant que le pont encombré de gens, de caisses, de balles et de tonneaux le lui permettait, Barbeyrac s’en alla voir les chevaux. Des mariniers descendaient des bagages dans l’entrepont. Aux tintements qu’ils provoquaient en les maniant sans aucune précaution, l’on pouvait deviner qu’ils enfermaient des armes. Sans doute des épées, des fers d’armes d’hast, des cuirasses, des lormeries [11] et bardes de chevaux. Sur la George personne ne pouvait échapper à la guerre, surtout pas les vingt archers sous le poids desquels la passerelle tremblotait.
    Les passagers s’examinaient les uns les autres. La plupart observaient leurs voisins avec franchise, quelques-uns obliquement. Il n’y avait que des hommes. À l’avant du château de poupe, messire William Piers veillait aux mouvements et chargements, levant parfois les yeux sur les sommets de sa nef provisoire, gréée d’un long mât peint en rouge adorné d’une spirale d’argent, telle une immense lance dont la gabie de bois et de fer scintillait comme un rochet. Une écoutille s’ouvrait à l’arrière de l’artimon contre lequel le dormeur d’Ashby s’était adossé ; peu à peu, les marchands, frileux, s’y glissaient avec autant d’hésitation que s’ils s’introduisaient dans un lieu mal famé. Il ne resta sur le pont que les hommes d’équipage, les archers, Loïs de Saveuse appuyé aux pavesades de l’accastillage de proue, le regard perdu vers le large, et Barbeyrac qui revenait avec, sous un bras, des chausses, hauts-de-chausses, une chemise, un pourpoint et jusqu’à un chaperon noir.
    — Pour Lois, dit-il. Les chausses et le pourpoint sont tiens, Argouges ; le reste est à moi.
    — Tu as bien fait, compère… Je te laisse les lui remettre. Je vais dire deux mots à l’inconnu d’Ashby.
     
    Assis sur un coffre, le dos appuyé contre le mât cerclé de cuivre à sa base, le passager semblait répugner à entrer dans le ventre du vaisseau. Il respirait amplement, mais sans la moindre volupté, la brise qui sifflait dans le gréement. Parfois, il regardait ses poulaines dont il n’avait point vergogne. Et pourtant ! On prétendait les Prussiens et les Polonais idolâtres parce qu’ils portaient ces chaussures absurdes, proscrites par un clergé qui n’était pas suivi dans ses colères et ses anathèmes. C’était par allusion à Cracovie que les Anglais appelaient ces souliers des cracows.
    « Peut-être », songea Ogier, « Blandine serait-elle fière que j’en porte ! »
    Mais qu’allait-il songer à son épouse !
    Alors que l’inconnu tendait l’oreille vers l’écoutille pour y entendre les éclats d’une altercation, Ogier fut devant lui. Il n’eut point à parler. Le voyageur le considéra d’une façon abrupte :
    — Oh ! vous, je vous ai vu à Ashby !… Vous y avez fait merveille.
    — Vous étiez dans la foule !
    — Messire Jean d’Offord m’avait fait relaxer à condition de le servir.
    Les façons de cet homme, sa voix affectée, son assurance, ne laissaient pas d’ébahir Ogier. Il y avait en lui du clerc et du boutiquier.
    — Votre bonne fortune me paraît établie. C’est un emploi lucratif que vous exercez maintenant ! Je vous avais cru moine en rupture de froc.
    — J’ai servi Dieu ; je sers désormais Édouard III. Je suis allé en France, en Bourgogne, en Langue d’Oc. Présentement, je vais en Flandre. Mon nom est Bernhard Kemper. Mon père est allemand, ma mère anglaise.
    Ogier salua et revint vers ses compagnons. Loïs de Saveuse,
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