Le secret de la femme en bleu

AVANT-PROPOS
    Au moment où commencent, en avril 805, les événements relatés dans Le Secret de la femme en bleu , Erwin le Saxon vient de conclure avec succès une enquête en Brenne ( 1 ), démêlant l’écheveau d’une rébellion énigmatique et y mettant fin avec l’aide du comte Childebrand. Les difficultés rencontrées, les périls encourus et les responsabilités assumées par Erwin et Childebrand au cours des missions particulièrement délicates que leur a déjà confiées Charlemagne ont créé entre ces deux hommes une profonde amitié.
    Erwin est entré en 791 au service de Charles, alors roi des Francs et des Lombards, qui sera sacré empereur à la Noël de l’an 800 à Rome. Il y a été appelé par Alcuin, principal conseiller du souverain. Il est alors âgé de trente-cinq ans. D’origine saxonne, il a passé la première partie de sa vie en Northumbrie, royaume fondé par les Angles et les Saxons en Grande-Bretagne. Il a fait de longues études à l’école archiépiscopale d’York sous la direction d’érudits comme Alcuin. Il a acquis une parfaite connaissance du latin et du grec ; il parle également le saxon et le francique. Tout en observant la discipline monastique, il a franchi tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique jusqu’à la prêtrise. Il est devenu l’un des plus jeunes abbés de Northumbrie.
    A la cour du roi Charles, il se fait bientôt apprécier des grands par son savoir, son calme… et sa perspicacité. Il est admis dans l’académie des savants et beaux esprits que le souverain a rassemblés autour de lui. Il accompagne le roi dans ses campagnes et, tout en répugnant, en tant que clerc, à tirer l’épée, il y fait preuve d’un constant sang-froid. En fait, Erwin, quand il y est contraint, se montre remarquablement habile aux armes.
    Le comte Childebrand, lui, est apparenté à Charlemagne. Son père, Nibelung, ancêtre d’une lignée fameuse, était le neveu de Charles Martel, grand-père de l’empereur. Childebrand, colosse de six pieds de taille, s’est distingué par sa bravoure dans les combats à la tête de la cavalerie, par sa loyauté envers le souverain et par son dévouement.
    Le roi, par deux fois déjà, l’a désigné pour des inspections dans les « pays », quand il décide, en 793, de lui adjoindre l’abbé Erwin (en règle générale les missi dominici vont par deux, un laïc et un ecclésiastique) pour une mission à Autun ( Le Poignard et le Poison ) qui va se révéler complexe. L’habileté qu’ils démontrent dans l’utilisation des pouvoirs étendus dont ils disposent, car les missi dominici représentent en tout lieu la puissance monarchique, la sagesse de leur jugement après des investigations scrupuleuses incitent Charlemagne à se reposer sur eux pour résoudre les problèmes les plus difficiles comme à Lyon ( La Salamandre ), à Auxerre ( Le Gué du Diable ) ou encore dans le Berry ( Le Spectre de la nouvelle lune ). Il les charge même d’une ambassade périlleuse et de grande conséquence auprès du calife de Bagdad, Haroun al Rachid, dont les Contes des Mille et Une Nuits magnifieront le nom ( Le Sabre du calife ).
    Erwin et Childebrand peuvent compter, dans leurs entreprises, sur des assistants compétents, courageux et zélés : Doremus, moine dont l’injustice d’un comte a fait jadis un chef de rebelles, Timothée, dit le Goupil, qui fut chassé de Constantinople où il occupait de hautes fonctions pour s’être opposé au « culte des Images », frère Antoine, le Pansu, personnage truculent et bretteur redoutable, sans oublier Hermant, officier de la garde impériale, ou encore Sauvat, le colosse roux, ancien geôlier…
    Erwin s’est attaché à appliquer dans ses enquêtes des procédés nouveaux. Il appartient à cette école de missi dominici qui ne se contentent plus de témoignages ou d’aveux obtenus sous la torture et répugnent à recourir aux « jugements de Dieu », mais qui, innovation considérable pour l’époque, veulent appuyer leur conviction sur des preuves qu’ils recherchent avec opiniâtreté.
    D’autre part, il met à profit ses missions pour prendre, dans les évêchés et dans les abbayes, une part active à la renaissance culturelle impulsée par Charlemagne. Tout en recherchant les enseignements du passé, il se passionne pour le monde dans lequel il vit, car il sent bouillonner dans le nouvel empire occidental des forces qui n’attendent pour se développer que