Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août
Autoren: Michel Pagel
Vom Netzwerk:
cours d'eau et la ligne des arbres, sur l'autre rive, là où la forêt reprenait ses droits. Malgré la saison, la surface sombre léchait les berges herbues accidentées, par endroits affaissées.
    La fraîcheur, plus perceptible ici que dans le sous-bois, gifla de plein fouet un Philippe à bout de souffle, trempé d'une sueur brûlante, mais qui n'en continua pas moins de courir. Il sut qu'il allait se jeter dans la rivière avant d'en avoir pris la décision consciente. Le sanglier ne l'y suivrait sans doute pas et, dans le cas contraire, il ne pourrait rivaliser avec un bon nageur. Mais surtout, l'élément liquide était rassurant : depuis son plus jeune âge, le garçon l'aimait, qu'il fût pluie, fleuve ou lac. À son contact, sans savoir pourquoi, il se sentait en sécurité. En cet instant de panique, s'y plonger paraissait plus que raisonnable : c'était une évidence.
    À cinq pas de lui, au bord de l'eau, une forme sombre qu'il prenait pour une souche ou un rocher se mit soudain à bouger, à grandir. Philippe crut sentir son cœur s'arrêter, certain qu'il s'agissait là d'un nouveau démon envoyé pour lui barrer la route, le priver de son dernier espoir. Sans qu'il s'en rendît compte, l'amorce d'un hurlement naquit sur ses lèvres.
    À peine eut-il ralenti sa course, toutefois, que le démon acheva de se redresser, se retourna, et se révéla être une femme enveloppée d'une longue cape noire au capuchon tout juste assez relevé pour révéler ses traits. Cette découverte bouleversa l'état d'esprit du garçon : de victime, il devint protecteur, et quand son cri jaillit enfin de sa gorge, ce n'était plus une exclamation de terreur mais un avertissement.
    L'image de la femme mutilée par le sanglier passa dans son esprit. Cette fois encore, il n'hésita pas : ce fut à peine s'il entendit protester celle qu'il voulait sauver lorsqu'il lui enroula un bras autour de la taille et, la serrant avec force, l'entraîna dans sa course. Il n'avait pas assez bien vu son visage pour la savoir jeune ou vieille, belle ou laide, mais une chose était sûre : elle ne pesait guère. Cette charge soudaine ne brisa même pas l'élan de Philippe. D'un bond prodigieux où il investit toute l'énergie qui lui restait, il se propulsa au-dessus de la surface paisible.
    L'instant d'après, un éclaboussement titanesque agitait les eaux, créant des remous qui se propagèrent jusque sur l'autre rive et provoquant la fuite coassante d'une colonie de grenouilles autour d'un bouquet de plantes aquatiques.
    L'eau était froide mais pas glacée, si bien que le saisissement initial fut de courte durée. Le garçon eut le temps de se réjouir qu'on fût en été et que sa légère tenue de chasse ne dût pas l'empêcher de nager, malgré ses heuses, lesquelles se plantèrent alors dans la vase. Lorsqu'il se redressa d'une détente pour remonter, il se rendit compte qu'il avait pied : une fois debout, il ne demeurait submergé que jusqu'aux épaules.
    C'était aussi le cas de la femme, puisqu'il la tenait toujours serrée, mais les pieds nus qu'il sentait battre contre ses jambes disaient assez que, plus petite, elle serait contrainte de nager s'il la lâchait. Ce qui ne semblait pas l'effrayer, à en juger par les coups de poing rageurs qu'elle tentait de lui décocher tout en l'invectivant. Dès que ses oreilles se furent débouchées, Philippe se trouva soumis à la première volée d'injures que quiconque eût osé lui adresser.
    Il ne s'en offusqua pas autant qu'il l'eût dû. La brutale immersion avait chassé son affolement, mais il n'en restait pas moins conscient des dangers qu'il courait peut-être encore : il n'entendit qu'à moitié les paroles de sa compagne, et s'en irrita surtout parce qu'elles l'empêchaient de se concentrer sur la berge obscure où son poursuivant allait paraître d'un instant à l'autre.
    — Il suffît ! ordonna-t-il sèchement en scrutant la forêt. Remercie-moi plutôt de t'avoir sauvée.
    — Sauvée ? répéta-t-elle avec un rire amer. Et en plus, tu te moques de moi ? Sauvée de quoi ? Tu crois que…
    Elle s'interrompit comme il posait sur elle un regard furieux. Fut-ce l'autorité naturelle du garçon qui s'imposa avec un temps de retard, ou bien, plus sûrement, la femme remarqua-t-elle alors le bliaud de drap brodé qu'il portait, fermé au col par une agrafe en argent ? Toujours est-il que, sur son visage, la crainte remplaça la colère, et qu'elle baissa la
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher