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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août
Autoren: Michel Pagel
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c'était à distinguer le galop d'un cheval de la charge d'un sanglier. Et ce qu'il entendait, c'était un sanglier. Le sien, sans nul doute, celui qu'il avait pourchassé toute la journée et qui revenait à présent se venger.
    La stupidité de cette idée – avait-on jamais vu gibier courir sus à des chasseurs assez maladroits pour le laisser s'enfuir ? – le frappa au moment même où naissait sa certitude que l'animal venait pourtant droit sur lui. Le fracas des buissons arrachés, des sabots qui faisaient déjà trembler le sol sous ses pieds, trahissait une course en droite ligne, quasi aveugle, que seules pouvaient susciter la panique ou la rage.
    D'un coup, il retrouva en lui l'image de la bête : un solitaire massif, à la hure énorme et aux longues canines éversées – au bas mot trois cents livres de chair et d'os que rien n'arrêterait. Tandis qu'il en revoyait les petits yeux noirs, jugés sur le moment stupides, il crut se les rappeler cruels, et ce souvenir lui inspira une pensée terrifiante : le sanglier n'en était pas un ; c'était le Diable ou l'un de ses féaux, lancé à ses trousses pour provoquer la ruine du royaume de France.
    Car s'il mourait, le royaume de France serait ruiné, le garçon n'en doutait pas un instant.
    Un autre souvenir passa dans son esprit, aussi précis que fugitif : celui de Richard Plantagenêt se vantant d'avoir, enfant, abattu avec un simple couteau le sanglier qui attaquait son frère. L'avait-il réellement fait ? C'était bien dans sa manière, en tout cas. Se fût-il trouvé en cet instant face à la bête furieuse, nul doute qu'il eût fixé son poignard à la branche brisée, avant de planter au sol cet épieu de fortune pour attendre la charge de pied ferme. Tel était Richard : du courage et encore du courage. Plus de courage que d'esprit, se disait parfois Philippe, à qui le vieux Clément répétait sans cesse qu'il est préférable de faire retraite pour vaincre plus tard que de mourir glorieusement.
    Le petit rire narquois qui s'éleva alors près du garçon, si proche qu'il eût pu en croire l'auteur sorti des fourrés et debout à son côté, invisible, chassa ses faibles velléités d'héroïsme : tournant les talons, il prit ses jambes à son cou. Nul ne pourrait lui reprocher d'avoir fui devant le Diable en personne. De surcroît, nul n'était là pour le voir.
    Il courut droit devant lui, sans se retourner, lâchant bientôt le bâton qui entravait sa progression. Dans le sous-bois, la nuit était presque totale, à présent, si bien qu'il trébuchait sur les racines affleurant le sol ou de traîtres buissons. Deux fois, à dix pas d'intervalle, de solides tiges rampantes lui fauchèrent les jambes et le jetèrent au sol. Se relevant d'un bond, faisant fi de ses écorchures et de ses contusions, il continua à courir. Quand son chaperon s'accrocha à une branche basse, il l'arracha, avec sa coiffe, et reprit sa fuite éperdue tête nue, les épaules battues par la rebelle tignasse blonde tirant sur le roux qui lui valait son sobriquet de Maupeigné.
    Les sabots du sanglier tonnaient dans l'air nocturne, assourdissants, au point que le garçon s'imaginait la bête juste derrière lui, croyait déjà en sentir le souffle sur ses mollets. Hormis cet infernal vacarme, il n'entendait plus rien, ni le hibou dont le cri monotone semblait accompagner sa fuite, ni le rire qui le poursuivait de ses arpèges malicieux. Toute son attention était concentrée sur une seule tâche : éviter les arbres dont les troncs obscurs se dessinaient au dernier moment sur l'obscurité moins épaisse qui les entourait, contourner les halliers ou les franchir d'un saut hasardeux, continuer, enfin, continuer sans pause ni faiblesse, sous peine d'être rattrapé par ce suppôt de Satan qui entraînerait son âme au plus profond des Enfers après avoir brisé son corps.
    Ce fut ainsi qu'il arriva au bord de la rivière.
    Moins affolé, peut-être se fût-il étonné d'avoir échappé à son poursuivant – si rapide, pourtant, et qu'il sentait si proche. Peut-être eût-il remarqué que les sabots avaient cessé de marteler l'humus dès son arrivée en terrain découvert. Dans l'état où il se trouvait, toutefois, il ne songea à rien d'autre qu'au salut inespéré s'offrant à lui, à dix toises des arbres.
    Hors du couvert, demeurait un soupçon de clarté, mince souvenir du soleil, avant-goût de la lune, qui révélait l'étendue paisible d'un large
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