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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie
Autoren: S.J. Parris
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fixaient peut-être eux aussi les cieux en se demandant si quelque
chose existait au-delà des limites de leur connaissance.
    Un jour, j’écrirais tout cela dans un livre qui serait le
grand œuvre de ma vie, un livre qui aurait un retentissement semblable au De
revolutionibus orbium coelestium de Copernic, plus grand même, un livre qui
réduirait à néant les certitudes non seulement de l’Église romaine, mais aussi
celles de toute la chrétienté. Cependant il me restait encore tant de choses à
comprendre, tant de livres à lire : des manuels d’astrologie, de magie
antique, qui tous étaient interdits par l’ordre dominicain et que je ne pouvais
jamais obtenir de la bibliothèque de San Domenico Maggiore. Je savais que si
l’on me présentait aujourd’hui à l’Inquisition de l’Église catholique, tout
cela me serait arraché à coups de tisons chauffés à blanc, de chevalet ou de
roue, et je finirais par vomir mes hypothèses à peine esquissées, ce qui me
vaudrait de brûler pour hérésie. J’avais vingt-huit ans, j’étais encore loin de
désirer la mort. Je n’avais d’autre choix que de fuir.
    Les complies venaient juste de s’achever et les moines de
San Domenico se préparaient à se retirer pour la nuit. Arrivé dans la cellule
que je partageais avec fra Paolo de Rimini, le froid de la nuit entrant dans
mon sillage, je m’agitai frénétiquement dans cet espace minuscule pour
rassembler les quelques affaires que je possédais dans un sac en toile. Étendu
sur sa paillasse, Paolo s’adonnait à la méditation lorsque j’avais fait
irruption. Il s’était dressé sur un coude et observait maintenant avec
inquiétude mon effervescence. Lui et moi avions rejoint ensemble le monastère
comme novices à l’âge de quinze ans. Treize ans plus tard, il était le seul à
qui je pouvais penser comme à un frère, au vrai sens du mot.
    « Ils envoient chercher le Père Inquisiteur,
expliquai-je en reprenant ma respiration. Je n’ai pas un instant à perdre.
    — Tu as encore raté les compiles. Je t’ai prévenu, Bruno,
dit-il en secouant la tête. À force de passer autant d’heures aux latrines le
soir, les gens vont finir par avoir des soupçons. Fra Tomassa répète à tout le
monde qu’une sérieuse maladie te détruit les intestins. Je t’avais dit qu’il ne
faudrait pas longtemps à Montalcino pour deviner ce que tu fais réellement et
alerter l’abbé.
    — Ce n’était qu’Érasme, pour l’amour du Christ,
répondis-je, agacé. Je dois partir ce soir, Paolo, avant qu’on me soumette à la
question. Est-ce que tu as vu ma cape de voyage ? »
    Le visage de Paolo devint soudain très grave.
    « Bruno, tu sais qu’un dominicain ne peut pas quitter
son ordre, sous peine d’excommunication. Si tu t’enfuis, ils le prendront comme
un aveu et ils prononceront un arrêt contre toi. Tu seras condamné pour
hérésie.
    — Et si je reste, je serai aussi condamné pour hérésie.
Ce sera moins douloureux in absentia.
    —  Mais où iras-tu ? De quoi
vivras-tu ? »
    Mon ami avait l’air abattu. J’interrompis mes recherches et
posai ma main sur son épaule.
    « Je voyagerai de nuit, je chanterai et je danserai, ou
je mendierai si je le dois, et quand j’aurai mis une distance suffisante entre
Naples et moi, j’enseignerai pour vivre. J’ai passé mon doctorat de théologie
l’année dernière, il y a beaucoup d’universités en Italie. »
    J’essayais de me montrer plein d’entrain, mais en réalité je
me sentais oppressé et j’avais l’estomac noué. D’une certaine façon, que je ne
puisse plus désormais me rendre aux latrines était une ironie du sort.
    « Tu ne seras jamais en sécurité en Italie si
l’Inquisition te condamne pour hérésie, dit tristement Paolo. Ils n’auront de
cesse qu’ils te voient brûler.
    — Dans ce cas, je dois m’en aller avant qu’ils en aient
l’opportunité. J’irai peut-être en France. »
    Je me détournai pour chercher ma cape. À cet instant surgit
de ma mémoire, aussi claire que le jour où elle s’y était imprimée, l’image
d’un homme consumé par le feu, à l’agonie, la tête rejetée en arrière afin
d’éloigner son visage des flammes insatiables qui dévoraient ses vêtements.
C’était ce geste humain et inutile qui m’était resté après toutes ces années,
ce mouvement pour protéger son visage du feu alors qu’il était lié à un piquet,
et depuis lors j’avais soigneusement
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