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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle
Autoren: Christian Bernadac
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personne ne peut le dire.
    — Notre chef de block était un droit commun, un boulanger de Munich, Achi, condamné au bagne pour avoir tué sa femme et ses trois gosses. Achi avait la réputation d’être un des plus grands tueurs du camp. Il était le prototype parfait du bandit : nez cassé, édenté, et surtout le regard que nous retrouvions chez tous les tueurs, ce regard fou, effrayant, sadique. Lui, pour taper, avait un gros câble électrique. Je me souviens que, parmi les nombreux coups reçus, un appliqué sur la tête m’avait, sur le dessus de celle-ci, fait un bourrelet gros comme le doigt…
    — Dans notre malheur, nous avions eu, grâce à Al Manivel qui, en sa qualité de boxeur était plus considéré que le plus grand des savants, un moment de répit. Cela était très important, car c’était dans les premiers jours que le danger était le plus grand. Un coup mal placé, donc handicapé pour la production, c’était la mort immédiate. Al Manivel qui avait fait, entre autres, match-nul avec Besselman, champion d’Allemagne, se vit mettre au défi, par les kapos qui doutaient de l’authenticité de ses dires. Ils lui demandèrent de faire ses preuves. Nous vîmes arriver un gaillard qui, en raison de sa corpulence, aurait pu aisément faire partie de la catégorie des poids lourds. Qu’il paraissait menu Albert face à son adversaire ! Et il me disait : « Comment abattre, dans mon état de faiblesse, une masse pareille. » Et il ajoutait : « Il faut que le premier coup soit le bon. » Alors, rassemblant le peu de force qui lui restait, il se mettait en garde. L’autre, sûr de sa force, voyant en face de lui ce gringalet, arrivait les bras ballants. Il n’eut pas le temps de les relever. Un direct au menton des plus classiques le mettait K.O.
    — Pourquoi raconter une telle anecdote. Eh bien ! parce qu’elle explique, en partie, les raisons de notre survie. En effet, pendant quelques jours, les Français du block 20 eurent un peu de répit et quelque peu de rabiot, et surtout moins de coups et un peu plus de considération. Car, à notre arrivée, nous étions, il faut bien le dire, avec les Soviétiques, ceux qui étaient le plus méprisés. Les quelques Espagnols républicains qui avaient survécu et qui étaient là depuis 1941, et qui avaient participé à la construction du camp, nous reprochaient la non-intervention dans la guerre d’Espagne. Nous étions, pour certains, les « gendarmes à Daladier ». Les Tchèques, eux, nous reprochaient Munich qui avait livré leur pays aux nazis. Les Polonais nous reprochaient la drôle de guerre, l’armée française restant l’arme au pied pendant que l’armée nazie envahissait leur pays. Et pourtant, parmi les Français, ils étaient nombreux les antifascistes qui n’avaient pas été d’accord avec la prise de position de leur gouvernement dans ces différents conflits. Et il se passa du temps avant que nos rapports avec ces camarades deviennent à peu près normaux.
    — Que vii ce soit en avril 1943 ou en avril 1945, le principe fondamental qui régit Gusen est le même : mélange des « politiques » et des « droit commun », subordination des « Rouges » – d’après la couleur du triangle des déportés politiques – aux « Verts » d’après la couleur du triangle des détenus allemands ou polonais arrêtés pour crime ou pour vol. C’est pour cette raison qu’un homme, qui n’a connu que la vie en société normale, ne peut comprendre la vie en K.L. : ici, ce sont les assassins qui gouvernent ; la situation sociale est fonction du nombre de coups distribués ; plus on tue, plus on monte en grade ; l’homme détestable, l’ennemi public n° 1, c’est celui qui ne perd pas ses scrupules et sa dignité : il faut à tout prix que le Mal l’emporte sur le Bien, et peut-être alors, si vous tombez bien bas, aurez-vous la vie sauve, tout au moins si vous êtes Allemand !
    — À Gusen, l’effectif varie autour de dix mille ; dix mille hommes qui s’entassent dans trente-deux baraques divisées chacune en deux chambres : stube A et stube B. À la tête de chaque « block » et de chaque « stube », un droit commun allemand qui dispose de la vie de ses administrés ; autour de lui, une pléiade de protégés qui font régner l’ordre à coups de matraque. Au travail, à la tête de chaque kommando, un « kapo » également droit commun allemand ou polonais, ou même
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