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Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon

Titel: Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
Autoren: Jean Markale
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I

ENTRE MONTS ET GRANDES GRÈVES
    Le Mont-Saint-Michel, c’est d’abord une très belle histoire
d’amour. On y célèbre en effet les noces perpétuelles du Ciel et de la Terre, de
la Terre et de la Mer, de la Mer et du Ciel. Et comme dans toutes les belles
histoires d’amour, cela ne va pas sans violence, sans orage, sans souffle de
vent, sans lumière derrière les brumes profondes qui se glissent entre monts et
grandes grèves pour signifier que l’heure est venue d’accomplir de mystérieuses
et silencieuses liturgies.
    Durant mon enfance, le Mont-Saint-Michel n’a guère été pour
moi que quelques cartes postales retrouvées dans une vieille malle, et sur
lesquelles, sans comprendre, je commençai à rêver sur les folles architectures
du Moyen Âge. Mon imaginaire se plaisait à construire des villes qui n’existaient
pas, et je créai, sans prendre appui sur autre chose que des bribes d’images, des
pays merveilleux où il faisait bon se perdre en dehors du temps et de l’espace.
À cet égard, les cartes postales désuètes qui représentaient le cloître du Mont,
des arcs-boutants, des flèches, des clochetons, des remparts, formaient une
étonnante pâte que je ne demandais qu’à faire lever afin d’en recouvrir les
éléments qui, dans mon vécu quotidien, constituaient un obstacle à toute
évasion.
    Car le Moyen Âge, tel que je le voyais à l’époque, à travers
ces images quelque peu défraîchies, à travers aussi quelques monuments que j’avais
l’habitude de fréquenter, était un prétexte à partir pour un voyage sans fin. Mais
c’était un voyage immobile et, de ce fait, peut-être encore plus efficace parce
qu’il permettait d’atteindre l’autre côté de l’horizon, là où plus rien n’est impossible,
là où se rejoignent les rescapés de toutes les tourmentes pour se raconter les
uns aux autres ce qu’ils ont vu et entendu, comme autrefois les Chevaliers de
la Table Ronde lorsqu’ils rentraient à la cour d’Arthur et de Guenièvre. Et je
lisais aussi les pages magnifiques où Victor Hugo évoque un Paris de la fin du XV e  siècle, à travers les ricanements des gargouilles
et les sourires des anges qui gardent les dédales obscurs d’une cité enfouie
dans la mémoire. Le Moyen Âge, pour moi, ce ne pouvait être qu’une époque bénie
où l’on risquait à chaque pas de rencontrer une merveille.
    J’ai su depuis que tout cela n’était que leurre et fantasme,
mais je ne regrette certes pas d’avoir ainsi rêvé un univers médiéval qui
correspondait alors pour moi à un besoin fondamental. Après tout, on sait que
Viollet-le-Duc, lorsqu’il a reconstitué certains monuments à peine échappés aux
morsures du temps, a opéré selon sa propre imagination, et qu’il n’a jamais
prétendu faire autre chose que de donner sa propre vision du Moyen Âge. Cela ne
nous empêche nullement de considérer Pierrefonds ou la façade de Notre-Dame de
Paris comme d’authentiques chefs-d’œuvre. À la limite, on pourrait même dire
que ces monuments ainsi reconstitués correspondent davantage à notre
sensibilité contemporaine qu’en leur état d’origine, lorsque les bâtisseurs s’acharnaient
encore dans leur combat contre la pierre.
    Ainsi donc, je rêvais le Moyen Âge, moi aussi, à travers des
églises gothiques, à travers quelques vestiges entrevus, à travers les cartes
postales du Mont-Saint-Michel. Le Mont m’attirait peut-être davantage parce qu’il
se situait quelque part vers l’ouest et que j’ai toujours été hanté par le
soleil couchant. Vivant à Paris, je suivais la course du soleil, et, parfois, sur
les bords de la Seine, ou encore au dernier étage de mon immeuble, au-dessus
des toits et des cheminées qui dressaient leurs silhouettes tourmentées, j’avais
toujours quelque chose qui se nouait dans ma poitrine lorsque les lueurs rouges
du couchant éclataient en fusées grandioses pour retomber ensuite derrière les
remparts de pierre qui faisaient obstacle à mon envol. Oui, là-bas, vers un
ouest qui me paraissait légendaire, il y avait un lieu où j’irais sans doute un
jour, un lieu privilégié où les ombres du soir jouent avec la lumière d’un
soleil qui se noie tragiquement dans la mer. Voilà le Mont-Saint-Michel de mon
enfance. Il n’existe pas. Mais il est encore très vivant si j’explore les
méandres de ma mémoire.
    D’ailleurs, à cette évocation d’un passé médiéval romantique , s’ajoutait une
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