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Le kabbaliste de Prague

Le kabbaliste de Prague

Titel: Le kabbaliste de Prague
Autoren: Halter,Marek
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gravir. »
    — C’est bien. On m’a dit qu’il vous laissait lire
Aristote au jour du shabbat ?
    La question était posée en fronçant les sourcils, mais le
ton et le regard n’étaient pas de condamnation. Je dis :
    — Rabbi Salomon Louria le lui a reproché. Le Rema a
répondu : « Quel mal y a-t-il à étudier la philosophie des Grecs les
jours de fête et de shabbat, alors que d’autres vont se promener ? »
    — On peut ! On peut… À condition d’étudier en
hébreu. Car si le langage est une forêt où chacun peut se promener librement,
chaque arbre porte ses propres fruits.
    — Toujours en hébreu, Maître, répondis-je. Mais le Rema
disait que si la philosophie est le questionnement de l’Univers, ce
questionnement commence, lui, dans la Torah avec l’interpellation de l’Éternel
par Abraham. Dieu, disait encore le Rema, a besoin de l’homme, comme l’affirme
le Midrash , de même que, en bonne logique aristotélicienne, l’hypothèse
a besoin de la thèse.
    — Aïe, aïe, aïe ! Il disait cela ?
Intéressant ! A-t-il au moins précisé que c’est la grande bibliothèque de
Salomon qu’Alexandre a offerte à Aristote, et que dans cette bibliothèque
Aristote a puisé sa pensée ?
    — Oui, Maître. Et il comparait la méthode du raisonnement
de la Kabbale à celle de la philosophie…
    Cette fois, le silence ne vint pas de moi. Le MaHaRaL se
tenait tout raide. Les yeux invisibles sous ses paupières baissées. Ses lèvres
dessinaient une moue incrédule sous sa barbe. Quelques secondes extraordinaires.
Plus tard, je compris que telle était l’expression de sa plus grande fureur.
    Je crus d’abord qu’il s’était endormi. Puis je perçus un
grondement. Les mots du MaHaRaL me transpercèrent autant qu’une fourche.
    — Charabia ! Malheur aux oreilles qui entendent
pareilles sottises !
    Et sans reprendre son souffle, dans un discours qui
mélangeait les plus immenses éloges aux critiques les plus terribles, le
qualifiant à la fois de « Souverain de l’esprit » et de
« Monsieur de Cracovie », le MaHaRaL réduisit en charpie les
commentaires, déchira en menus lambeaux la belle logique et la vivacité des
arguments que mon ancien Maître avait développés dans son livre, Thorat
haOlam , imprimé ici même, à Prague, deux ans avant sa mort.
    Que pouvais-je faire, sinon affronter l’orage d’un front
muet ? Je n’étais pas de taille à soutenir cette dispute ni à défendre la
pensée du Rema. De me voir condamné à une telle impuissance me fit honte. Si
bien que, quand le MaHaRaL reprit son souffle, je m’inclinai en marchant à reculons
vers la porte.
    — Où vas-tu ?
    Je m’immobilisai. Le MaHaRaL sortit la lettre du Rema de sa
manche. Il la déplia et se rassit dans son grand siège pour la lire. Cela ne
prit pas longtemps. Il ne me regardait pas. Il agita seulement la main gauche
et me fit signe d’approcher.
    — Rabbi Moïse m’écrit que tu es avancé dans les études
de mathématiques et d’astronomie. C’est bien. Il me flatte, aussi. Ta place est
ici, à condition que tu te plies à ma méthode, qui est de prendre chaque chose
par son début avec l’humilité des ignorants.
    Ce fut ainsi que le MaHaRaL m’accueillit sous son aile. Sans
un mot de plus.
    Ce fut ainsi, aussi, que pour la première fois je posais sur
mes cheveux ce bonnet de feutre dur qui signalait mon appartenance aux Juifs de
Prague. C’était une sorte de toque à pointe, au haut bord rigide et qui
recouvrait la kippa. Depuis vingt ans, par décision de l’Empereur, il était
obligatoire de la porter dès que nous étions en Bohême. Mais je dois dire que
cette distinction, en ce temps, nous l’arborions, naïvement peut-être, avec une
belle fierté.
    Et bien sûr, dès les mois suivants, je mis une grande ardeur
à prouver ma valeur au MaHaRaL. Mais, avec le temps, ce fut moins ma science
que mon admiration pour le saint rabbi qui grandit.
    La justesse de ses paroles, la pureté de son intelligence
m’emportaient comme un chant. Je compris enfin la beauté de l’image qu’avait
utilisée le Rema. Oui, dans les disputes, les pensées du MaHaRaL brillaient
comme des oranges parfaites dans une corbeille d’argent.
    Il n’empêche. Je ne renonçais en rien à l’enseignement de
mon premier Maître. Au contraire, j’appliquais son précepte « Deux écoles
opposées sont toutes deux la Parole du Dieu vivant. »
    L’œil et l’oreille du MaHaRaL
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