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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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récits sur les croisades. J’avais
connu à la Sainte-Chapelle un vieillard devenu diacre
qui, en son jeune temps, avait fait le chemin de la Terre
sainte pour y combattre.
    Je partageais ainsi la passion de beaucoup de mes
camarades de jeu, quoique sur la base d’un profond
malentendu. Eux cédaient à l’attrait pour les armes, les
chevaux, les tournois, toutes formes de violence et d’exploits qui ont un grand prestige chez les jeunes gens.
Pour moi, la chevalerie était plutôt un véhicule vers le
monde enchanté de l’Orient. Si j’avais connu une autre
façon de se transporter jusqu’en Arabie, il m’eût tout
autant fasciné. À l’époque, je ne doutais pas que le seulmoyen de s’y rendre et de vaincre tous les obstacles qui
se dressaient sur cette route était de chevaucher
un destrier caparaçonné, revêtu d’une armure et l’épée
au côté.
    Nous étions un groupe d’une quinzaine d’enfants du
même âge, nés dans les mêmes quartiers de parents
bourgeois. Quelques rejetons de domestiques ou de colporteurs se joignaient à nous ; les fils de nobles nous
ignoraient. J’étais un peu plus grand en taille que les
autres mais de constitution fragile. Je parlais peu et ne
me donnais jamais complètement dans les jeux. Une
part de moi restait à l’écart. Cette attitude détachée
paraissait certainement hautaine. On me tolérait dans le
groupe. Pourtant, à l’heure des confidences, des récits
grivois, mes amis faisaient en sorte de me laisser de côté.
    Il y avait parmi nous un chef. C’était un gros garçon
appelé Éloi dont le père était boulanger. Ses cheveux
bouclés, noirs et drus, évoquaient pour moi la fourrure de mouton. Sa puissance physique était déjà remarquable. Mais l’ascendant qu’il exerçait sur le groupe
devait surtout à la crainte que suscitaient ses audaces
verbales et ses vantardises. La victoire lui était acquise
avant même le combat, du seul fait de sa réputation.
    Fin juin, les Bourguignons s’annoncèrent aux abords
de la ville. Il fallait se préparer à tenir un siège. Des troupeaux furent ramenés en hâte dans les faubourgs. Les
places étaient encombrées de tonneaux remplis de
salaison, de vin, de farine ou d’huile.
    C’était un été précoce et pourri. Début juillet des
orages éclatèrent. La pluie faisait jaillir à gros débit les
jets de volée, ajoutant au désordre et à la panique. Pour
le plus grand bonheur de notre troupe de gamins, deshommes en armes firent leur apparition dans la ville et
se préparèrent à la défendre. La cour du duc Jean était
jusque-là restée plus portée sur les arts et les plaisirs que
sur le combat. Les grands personnages n’y paraissaient
jamais en tenue de guerre. Désormais, la menace qui
pesait sur la ville changeait tout. Les nobles reprenaient
l’apparence qui avait fait jadis mériter à leurs ancêtres
de devenir comtes ou barons. Pour la première fois de
ma vie, j’approchai un jour un chevalier.
    Il remontait au pas la rue pavée qui mène à la cathédrale. Je courus à ses côtés. Il me semblait que, si je sautais en croupe, il m’emmènerait jusqu’en Arabie, au
pays du soleil éternel, sur la terre des vives couleurs et
du léopard. Le cheval était couvert d’un drap brodé
d’or. Dans les étriers passaient les pieds articulés de l’armure. Inexplicablement, je me sentais indifférent à
l’homme qui s’était glissé sous cette carapace. Ce qui
m’attirait plus que tout, c’était la matière travaillée qui
le rendait invulnérable, l’acier martelé dont les pièces
formaient l’armure, la peinture brillante de l’écu, le
tissu épais qui couvrait le cheval. Un homme simplement vêtu sur une monture ordinaire n’aurait pas eu les
pouvoirs fabuleux que je prêtais à ce chevalier.
    J’étais, hélas, condamné à rêver, car il me semblait
impossible de parvenir un jour à quitter la condition de
bourgeois dont je commençais à prendre conscience.
    Mon père m’emmenait de plus en plus souvent avec
lui au palais ducal quand il y traitait des affaires. Il n’espérait pas faire de moi un artisan, car j’étais fort malhabile. Il me voyait plutôt occupé de commerce. J’aimais le
décor de ces visites, ces salles hautes, les gardes à chaque
porte, les riches tentures, les dames que paraient desétoffes colorées. J’aimais les gemmes qui ornaient les
colliers, l’éclat des pommeaux à la hanche des hommes,
le chêne blond des parquets. Mon
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