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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
Autoren: Jean-François Parot
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rire ; elle dérobait chaque jour des bouts de chandelles dans les appartements des étages, accroissant ainsi sa provision. Plusieurs fois elle avait failli se faire prendre. Non seulement elle devait se méfier de l'attention toujours en éveil de sa maîtresse, mais aussi de celle des autres serviteurs, ses concurrents dans la maraude, qui, eux aussi, étaient à l'affût de tout ce qui pouvait alimenter un fructueux négoce de revente de la cire des bougies au poids.
    Un tintement métallique déchira le silence. Le cœur lui battit au point de lui faire mal. Elle retint son souffle en attendant la suite ; rien ne vint. Encore un de ces rats, songea-t-elle, dont on ne se débarrassait jamais. Une de ces bestioles grises, mitées et repues, nourries des déchets de cuisine, de ce regrat entreposé dans le grand garde-manger tout proche. Lui aussi offrait la matière d'un commerce régulier avec quelques tavernes pour les plus beaux morceaux ou, pour le rebut des assiettes, un de ces fabricants de soupe en morceaux d'arlequin dont la voiture fumante procurait, de par les rues et pour quelques liards, un instant de réconfort aux plus pauvres. Elle en avait tâté elle-même, il n'y avait pas si longtemps, après sa fuite de la maison paternelle. Elle gardait dans sa bouche l'arrière-goût d'aigre et de pourri qu'aucun assaisonnement ne parvenait jamais à masquer. Rien qu'à cette pensée, des haut-le-cœur la secouèrent.
    Elle prêtait toujours l'oreille, espérant entendre le pas lourd de son amant. Un miaulement lointain retentit. Elle ricana ; les matous ne servaient à rien ici, trop bien engraissés des reliefs d'une riche table. Seuls, leurs yeux qui brillaient dans l'ombre au moindre rai de lumière effrayaient les plus pusillanimes. Parfois même, un rat de belle dimension, au mieux de son âge, se dressait et tenait tête, ses dents jaunes exhibées, au félin qui se retirait sans combattre. Elle, ce n'étaient pas les chats qui la terrorisaient. Elle en avait connu, et des plus redoutables, dans les étables de son père, nourrisseur de bestiaux au Faubourg-Saint-Antoine, attirés par les souris clapies dans la paille et le grain.
    Elle ne voulait pas y penser, essayant d'effacer le passé. Rien n'y faisait, elle revoyait les derniers moments vécus avec les siens. Son père, intraitable, voulait la marier avec le fils d'un voisin, jardinier dans le faubourg. Pourtant bien découplé, ce garçon, aux yeux hors de la tête, ne lui convenait pas. Sa manière de faire sa cour mêlait les énumérations de salades aux règles de la culture sous-châssis, le tout agrémenté de considérations sur la manière de border les allées de haies vives, de treillages ou d'un palis d'échalas. La visite préliminaire qu'elle avait rendue aux Vitry l'avait confortée dans son refus.
    Leur maison comportait une salle donnant sur le marais où la famille vivait et mangeait. Le sol était en terre battue, bien loin du carrelage ciré de sa propre demeure. Des chaises de paille, une grande table au bois usé, un poêle de faïence, une fontaine de cuivre et un méchant buffet constituaient toute la décoration. Au premier étage, deux chambres, avec des paillasses et des couchettes, dont l'une servait au fils et deviendrait l'antre du nouveau couple. La mère Vitry, une grande femme noire et sèche, aux ongles usés et salis par la terre, lui énuméra d'un ton sévère les devoirs d'une épouse de jardinier. Fallait se lever à cinq heures le matin, par tous les temps et en toutes saisons, et travailler jusqu'à huit heures le soir avec une pause pour manger quelque soupe ou quignon sans perdre de temps. Elle devrait obéir à sa belle-famille comme si c'était la sienne propre.
    Son dégoût s'accrut lorsqu'on commença à discuter du contrat de mariage et des apports des époux. Le sien consistait, outre une dot en argent d'un montant qui faisait briller les yeux de la vieille, en une livraison de fumier frais, échelonnée sur de longs mois, et qui servirait à amender les cultures de la famille Vitry. Le jour des fiançailles et de la signature devant notaire, obsédée par la perspective d'une vie aux côtés de ce lourdaud, un mouvement soudain l'avait entraînée, elle avait décampé laissant là veaux, vaches, bœufs, fumiers et salades, un fiancé abasourdi et deux familles accablées. Elle craignit d'être recherchée et plongea dans la grand'ville pour se perdre dans l'océan des multitudes. Le père
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