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Le chat botté

Le chat botté

Titel: Le chat botté
Autoren: Patrick Rambaud
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Combien de Lyonnais a-t-il massacrés ?
    — Il veut autant que nous la mort du tyran.
    — Allons ! Il est pire que lui.
    — Nous l’éliminerons plus tard.
    — Courageux optimisme !
    — De toute façon il a beaucoup moins de pouvoir que Robespierre. Hier soir, au club des Jacobins, il s’est fait conspuer.
    — Comment le sais-tu, citoyen Delormel ?
    — J’y étais.
    Comme bien des représentants, Delormel pensait d’abord à lui. Trapu, boudiné dans sa redingote de drap bleu, ceinturé de tricolore, il portait une grosse cocarde à son chapeau de feutre gris pour afficher son amour de la République. Député du Calvados, il avait vu les bourgeois normands se coiffer du bonnet phrygien quand les commissaires politiques de Paris venaient chez eux en inspection : à leur image, aussi opportuniste que modéré, Delormel fréquentait les extrémistes les plus dangereux parce qu’il tenait à sa tête, qu’il rentrait d’ailleurs dans les épaules.
    — Regardez, dit-il, le spectacle commence...
    Tallien arrivait, avec son allure de fouine; la masse des députés comploteurs s’ouvrait devant lui. Il avait les cheveux ébouriffés, des favoris qui lui mangeaient les joues, un long nez à bout carré, des yeux inquiets. Delormel remarqua le manche d’un poignard qui dépassait de sa poche. Sans se concerter, dans un mouvement naturel, les traînards passèrent à la suite de Tallien dans la salle des séances, sous une arche, en poussant la portière de drap vert. C'était naguère la salle de l’Opéra royal, aménagée en amphithéâtre pour la Convention. Les rangées de banquettes s’étageaient jusqu’aux gradins bourrés de public, appuyées sur la paroi gauche, côté jardin. Les murs jaunes imitaient le marbre, avec en médaillons les portraits peints à l’eau de Platon, Solon, Brutus ou Lycurgue, le législateur de Sparte. La salle était haute de vingt mètres, longue, étroite, en perpétuel brouhaha.
    Saint-Just et Robespierre parurent ensemble. De sa place, Delormel considéra le désordre autour de la tribune où le président secouait sa sonnette comme un furieux. Il vit Saint-Just commencer dans le bruit la lecture d’un discours dont il ne comprit pas un mot, mais la première phrase courait de banc en banc, simplifiée, déformée. Delormel apercevait la silhouette de ce personnage redoutable qui revenait des armées du Nord pour affronter la tourmente. Saint-Just restait impassible face au tumulte qu’il avait soulevé par sa présence, son manuscrit à la main, pâle, isolé dans son élégance, sa longue chevelure parfumée, son habit chamois, les anneaux d’or de ses oreilles. Dans une bousculade, Robespierre lui succéda à la tribune. Delormel se leva en agitant son chapeau, d’autres l’imitèrent, puis tous, ils tempêtaient, tapaient du pied, hurlaient : « A bas le tyran ! » Réunis dans la vocifération ils avaient moins peur. Robespierre croisait les bras, il haussa les épaules, descendit à son tour de la tribune où Tallien s’élança en montrant son poignard dans un geste de mélodrame.
    — Tu entends ce qu’il dit ?
    — Pas plus que toi, cria Delormel à l’oreille de son voisin de travée. Je devine qu’il déclame des insultes très écrites.
    — Il peut jouer le héros puisque Robespierre va tomber.
    Robespierre tomba dans la journée : après des heures de vacarme, la Convention unanime le rejetait avec sa clique. La colère libérée et l’allégresse se conjuguèrent pour harceler les réprouvés désormais interdits de parole. Une joie mauvaise emportait tout ce monde qui avait longtemps tremblé, et le chaos avait gagné les tribunes du public où s’époumonait un jeune homme en redingote sans couleur. Il se nommait Saint-Aubin, remuait ses cheveux longs et en gesticulant montrait le poing; clerc de notaire dans le quartier de la Cité, il avait obtenu une place dans la tribune des ambassadeurs grâce à un huissier auquel il avait rendu service. Quand les gendarmes emmenèrent les nouveaux hors-la-loi, il se rua vers la sortie avec un courant de foule, escalada les gradins, marcha sur des sièges, donna du coude pour passer, écrasa des escarpins de ses bottes.
    Pressé dans la cohue sur le perron à double rampe qui montait aux Tuileries, en se haussant, Saint-Aubin vit passer les prisonniers au milieu de la cour, sous les huées, escortés par deux haies de gendarmes. On les conduisait près du château, à l’hôtel de Brionne, siège du
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