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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins
Autoren: Robert Merle
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cuiller à la main et me bâfrant, mais la tête levée et l’oreille en
alerte. Que je les trouvais belles, mes nourrices ! Et que j’aimais les
baisoter, les mignonner et être par elles contrecaressé à la fureur ! Mais
aussi que le monde évoqué par leurs propos me paraissait étrange et
incertain !
    N’est-il pas singulier qu’il me soit si malaisé de plonger
dans les ténèbres de mon enfantin passé, au point que je ne puis dire
précisément à quel âge la compréhension commença à me venir, ni combien de mois
il me fallut encore pour que les paroles de mes nourrices me devinssent tout à
fait claires ?
    Mariette éveilla de prime mon attention ce jour-là en
s’étonnant que la Duchesse ne fût pas venue dans notre logis de huit jours,
alors qu’elle était, dit-elle, « si raffolée de celui-là » . Or,
je savais pertinemment que « celui-là » – expression qui
revenait souvent dans leurs parlotes – c’était moi. Et bien étonné j’étais
moi-même que mes deux commères me crussent assez niais pour ne l’avoir point de
longtemps compris.
    — Se peut que la Tu chesse soit mal allante, dit
Greta. Ou alors elle sera partie fi siter son fils à Reims.
    — Ce cocardeau ! Ce petit duc sans nez qui n’a
pour vivre que ses dettes ! Sais-tu, Greta, qu’il est si fainéant que,
couchant, déjà majeur, avec les dames d’atour de la Duchesse, il aima mieux
s’oublier au lit que non pas se lever et faire dans sa chaire !
    — M’amie ! M’amie ! dit Greta, de jeunes
oreilles vont t’écoutant !
    — Mais dis-moi, ma bonne, comment est-ce Dieu possible
qu’avec une mère tant bonne et tant jolie que la Duchesse, et un père qui,
devant qu’on l’assassinât à Blois, fut le plus bel homme de son temps, il
n’est, lui, qu’un petit coyon de poupelet de cour qui fait le rogue et le
hautain avec tout un chacun.
    — Assurément, il ne faut pas le petit toigt de celui-là ! dit Greta.
    — Mais aussi, il faut bien le dire, dit Mariette, à bon
lait, bon chaton !
    — La grand merci à toi, dit Greta, la larme qu’elle
avait facile lui venant au bord des cils. Mais à le comparer à cet autre,
j’enrage quand je pense que celui-là, parce qu’il est ca tet, ne sera
même pas marquis !
    — Patiente un peu, Greta ! Le pitchoune a de la
cervelle.
    Il avancera ! Vois un peu comme il nous lorgne,
l’oreille dressée et l’œil vif.
    — Ah ! qu’il est mignon, mon mignon ! dit
Greta.
    Et quittant son fer, elle se pencha vers moi dans un grand
bruissement d’étoffes et m’embrassa.
    — Sûrement, reprit Greta, que la Tu chesse aime
plus celui-là que le Petit Tuc.
    —  Et pour cause ! dit Mariette avec un
petit clignement de l’œil.
    — Ta langue, Mariette, ta langue !
    — Ma langue, dit Mariette, m’est de bon service et je
ne crains personne avec l’outil que voilà. Grâce à lui, les maîtres eux-mêmes
souffrent de moi plus qu’ils ne souffriraient de quiconque ! Non que je
joue à l’effrontée, mais je sais, par là, beaucoup de choses.
    — Par exemple ? dit Greta.
    — L’autre jour, en ce logis, voyant la Duchesse
mignoter celui-là, et le baisoter à gueule bec, voilà-t-il pas que je lui
fais : « Madame, vous rappelez-vous le jour du baptême quand vous
avez dit au Roi : Ah ! Sire ! Gardez-vous bien de laisser choir
mon fils ! – Mon Dieu, Mariette, me répond-elle, que j’ai tremblé
alors ! » Et tout soudain, après s’être pensé un petit, la voilà,
après coup, qui rougit ! qui rougit ! tant et tant que je lui ai
tourné le dos pour non point l’embarrasser.
    — Mais, vramy, Mariette ! Quelle honte de
vergogner les gens ainsi ! Et que je regrette de t’avoir conté ce conte, fu l’usage que tu en fais.
    — Babillebabou ! Quel mal ai-je causé ?
Aucun ! Cela s’est passé entre nous, sans autre oreille que les nôtres, de
femme à femme…
    — De femme à femme ! dit Greta.
    — Oui-da, toute duchesse qu’elle est, elle n’est pas taillée
dans une autre étoffe que moi. Et ses enfants, elle ne les fait pas par le
petit doigt. Les rois et les ducs sont pleins de satin, de brocart et de
perles, mais ôte-leur ces beaux oripeaux, ils sont bien pareils à nous
autres ! Ils aiment les caresses et ils fuient les coups ! Et quand
ils meurent, ils n’en pissent pas plus roide !
    — Mais tout te même ! dit Greta, moi je
suis bien contente, quand je les fois si magnifiques en leurs
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