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La Volte Des Vertugadins

La Volte Des Vertugadins

Titel: La Volte Des Vertugadins
Autoren: Robert Merle
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résolu. Ses paniers
arrondissant ses hanches des deux parts, elle fendait la foule comme une proue
de ses durs tétins auvergnats, et criait : « Gare ! Gare !
Bonnes gens ! Laissez passer ! »
    Quelques minutes avant que je partisse avec cette escorte je
me souviens que mon père reçut un message du Louvre et aussitôt, le cœur
joyeux, apprit à ceux qui se trouvaient là, que la princesse florentine, Marie
de Médicis, petite-nièce de Charles Quint, venait de débarquer en France à
Marseille pour marier notre bon roi Henri.
    — Que Dieu et la Bonne Vierge le bénissent ! dit
Mariette.
    — Que Dieu le bénisse ! dit mon père, sans mentionner
Marie.
    Nos deux soldats, Pissebœuf et Poussevent, n’étaient point
Auvergnats, mais Gascons et sur le chemin du marché se trantolaient derrière
nous avec une nonchalance terrible, jetant de droite et de gauche des regards
aiguisés. Ils escortaient Mariette pour donner, certes, du poids à ses
querelles avec les marchands, mais par-dessus tout, pour la protéger, elle, ses
monnaies, ses viandes et ses habits, des tire-laine et des coupe-bourses qui
rôdaient comme loups autour des étals et vous détachaient votre manteau du cou
en un battement de cil, ou vous volaient un gigot jusque dans votre panier.
    Avant d’acheter, Mariette tâtait, reniflait, goûtait,
flairant la tromperie et la dénonçant à l’occasion d’une voix claironnante.
    — Quoi ? disait-elle au boulanger, tu appelles ça
du pain blanc de Gonesse ? Veux-tu m’en faire accroire, coquin ? Il
vient droit de Chaillot, ton pain, où ces gueux de meuniers mélangent l’orge au
froment et le blanchissent ensuite à la craie pour tromper les chalands. Point
n’en veux !
    Elle ne voulait pas davantage du beurre de Vanves, mais du
bon beurre goûteux de Bretagne. Et quant aux légumes, qu’elle appelait
« les herbes », il fallait qu’ils eussent crû dans la plaine
Saint-Denis et non aux Porcherons qu’elle déprisait. Quant au poisson, c’est
leur âge qu’elle suspectait.
    — Frais, tes maquereaux ! Rien qu’à voir leur œil,
je le décrois ! Haranguière du diable, me prends-tu pour une
coquefredouille ? Tu as beau les arroser dix fois par jour d’eau salée,
ils ne sont pas plus frais que ton cul !
    Et si la haranguière esquissait une réplique, Pissebœuf ou
Poussevent s’avançait, saisissait de ses deux mains le rebord de son étal comme
s’il allait le renverser et disait d’une voix paresseuse en fermant l’œil à
demi :
    — Commère, seriez-vous par hasard une grosse mai
élevée ?
    Le bon produit trouvé, Mariette barguignait sur les prix à
rendre fols les marchands et quand enfin elle avait arraché leur accord, elle
gardait l’œil sur le poids, la balance et la pesée. Pour peu que ses soupçons
fussent confirmés, elle déversait alors sur le coupable un torrent de menaces à
lui glacer les sangs.
    Qui aurait cru que cette dure Auvergnate, si forte en gueule
au Marché Neuf, pouvait être, au logis, si polie avec mon père, si tendre à son
mari, si amicale avec les chambrières, et à moi si affectionnée ? Dès que
je fus sevré, c’est elle qui prit le relais de Greta et, supplantant Caboche en
ce qui me concernait, me garnit en bouillies, en œufs mollets et en agneau
coupé menu, et pour le sucré, en crèmes et compotes, lesquelles elle
m’administrait au petit cuiller, avec une patience angélique, de doux sourires
et des paroles gazouillées.
    Greta s’était bien un peu rebéquée à se voir ainsi
remplacée, mais mon père, en sa justice seigneuriale, avait tranché :
« Qui a le lait, baille le lait ! Qui cuit le rôt, donne le
rôt ! » À Greta cependant appartenait toujours le soin de me lever,
de me laver, de me vêtir, et d’assister à mes repues pendant lesquelles, tout
en me couvrant de l’œil, mes deux nourrices faisaient marcher leurs langues
dans des clabauderies infinies.
    Dans le cocon de cette douce chaleur féminine, je grandis
vite et de corps et d’esprit, la parole déliée, l’ouïe avide et l’œil épiant.
De la Duchesse de Guise qui venait visiter son filleul deux ou trois fois la
semaine, et parfois plus, mes deux habilleuses parlaient souvent, avec
bienveillance toujours, mais avec des regards, des intonations et des
réticences qui me semblaient obscurs. L’une repassait, l’autre cousait, et moi,
devant une petite table basse, au pied de leurs volumineux cotillons, j’étais
assis, le
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