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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour
Autoren: Robert Merle
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du matin dorant les pignons et
bretèches de la rue du Champ Fleuri, les Parisiennes les plus tôt levées
ouvraient leurs verrières et se penchant à leurs fenêtres, par-dessus les pots
de basilic et de marjolaine qu’elles y entretenaient, envisageaient notre
petite troupe sans mot dire, mais sans perdre une œillée. D’autant plus que de
notre côté, ce n’étaient qu’allées et venues, chuchotis et jaseries au bec à
bec, sans qu’aucun de nous passât devant la porte cochère large déclose de mon
logis, de peur d’être aperçu des quinze vaunéants armés qui chargeaient mes
meubles sur un chariot.
    Cependant, le petit vas-y-dire expédié, je commandai
à Tronson et à mes gens de se reculer davantage encore et de s’escamoter de
leur mieux, afin que de non pas être vus par le Bahuet s’il me venait trouver,
leur commandant encore de ne branler mie que je ne les appelasse. Quoi fait,
j’allai me poster devant la porte piétonne de l’ancienne Aiguillerie, bien en
vue de ces mauvais garçons, et m’appuyant nonchalamment contre le bois de la
porte, commençai à me couper les ongles avec une paire de petits ciseaux.
Lecteur, bien je te concède qu’il y avait quelque théâtre dans cette
posture – d’autant qu’avant de me placer ainsi, j’avais, sous mon
mantelet, fait jouer les deux dagues à l’italienne dans leurs fourreaux
(lesquelles je porte dans mon dos), sachant bien que dans un soudain corps à
corps, n’ayant le temps ni l’espace pour dégainer une épée, seule une dague est
sûre. Me méfiant pour la même raison des cottes de mailles qui vous ôtent au
chamaillis souplesse et vivacité, j’avais endossé un pourpoint en cuir de
buffle qu’une lame, en mon opinion, ne pourrait pas si aisément tailler, ni
percer, le coup étant porté de près. Et enfin, j’avais pris position dans
l’encoignure de la porte piétonne, laquelle encoignure, étant étroite et
profonde, me protégeait à demi de dextre et de senestre, la porte elle-même
garantissant mon dos. Et pourquoi diantre je m’exposai ainsi au pire péril au
lieu d’attendre le retour de Miroul et l’arrivée de Vitry et de ses hommes, je
ne sais, sinon que lorsqu’on a mené comme moi de la quinzième à la quarantième
année une vie aventureuse, on prend l’habitude de lancer des défis à sa propre
vaillance, pour s’assurer que l’âge ne l’a point escouillée.
    Quant aux petits ciseaux et à mes ongles, les premiers
coupant les seconds, je les destinais à me persuader que mes mains ne
trémulaient pas et à convaincre Bahuet de ma sérénité. Cependant, l’ayant vu
saillir de ma cour, et se diriger vers moi, flanqué de deux truands de basse
mine, dès qu’il fut à deux toises de moi, j’empochai mesdits ciseaux, et
enfilai mes gants, lesquels étaient aussi de cuir et me pouvaient garantir des
estafilades, le mauvais d’une dague, comme on sait, étant qu’elle ne comporte
pas de garde.
    Ce Bahuet que j’eus tout le loisir d’envisager, tandis qu’il
s’avançait vers moi, était un gautier de moyenne taille, mais carré assez de
l’épaule, la mine chafouine et renardière, le nez camus, la lèvre mince, l’œil
faux et fuyant, et une grosse moustache noire dont les deux bouts retombaient
autour des commissures des lèvres. J’observai qu’il marchait quelque peu de
côté à la façon des crabes, la prunelle épiante de dextre et de senestre. Il
portait dague, et ses acolytes, des coutelas passés à la ceinture. N’est-ce pas
scandale, lecteur, je le demande à toi, qu’une grande ville comme Paris soit si
mal policée, et le guet si couard et si insuffisant que de tels coupe-jarrets
se peuvent trantoler, armés, à deux pas du Louvre sans qu’on les envoie tout
bottés au gibet ?
    — Compère, dis-je avec un sourire et en reprenant ma
pose nonchalante, mais une main derrière le dos sur la poignée d’une de mes
dagues, peu importe mon nom, puisque je sais le tien : tu te nommes
Bahuet, tu fus de son vivant secrétaire de feu le chevalier d’Aumale (que Dieu
le tienne au ciel en sa sainte garde !), tu occupes par la grâce des Seize la maison de M. de Siorac, politique notoire, laquelle tu vas
quitter ce jour, étant banni de Paris par Navarre.
    Je dis « Navarre » et non « le roi »
pour lui donner à penser que j’étais, comme lui, poisson des mêmes eaux
ligueuses. Et pour la même raison, j’avais recommandé au ciel l’âme du
chevalier d’Aumale,
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