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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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entre elle et le soleil. Il fallut un peu de temps à Sophie pour réaliser qu’elle avait fini la nuit sur le transat, et qu’un homme dont elle distinguait mal le visage dans le contre-jour la regardait dormir. Aucune femme, et Sophie moins qu’une autre, n’aime à être surprise dans son sommeil. Dans cet état d’abandon total où elle ne maîtrise rien de ce qu’elle offre à voir, ni sa tenue ni sa coiffure. Et quand elle comprit que cet homme qui la regardait était l’officier, Sophie fut sur pied en un quart de seconde. Elle tapota sa robe, ses cheveux, passa sa main sur son visage et dit d’un air qui se voulait anodin :
    — J’ai voulu prendre l’air et j’ai dû m’assoupir quelques minutes sur ce transat.
    En fait, elle était frigorifiée. Au total, elle n’avait pas dû rester là plus de deux ou trois heures, et à l’endroit où elle se trouvait, bien enfoncée dans un recoin et sous le plaid épais, elle avait été protégée. Comme le sommeil avait été profond tant sa fatigue était grande, elle ne s’était pas aperçue du grand froid. Mais là, elle grelottait. L’officier n’en revenait pas. Le froid de février était glacial. Une heure de plus et elle aurait pu mourir. D’un geste tendre, il prit le plaid qui avait glissé sur le pont, enveloppa Sophie et la frictionna pour la réchauffer. Elle se laissa faire.
    Ils restèrent un moment comme ça, elle s’abandonnant petit à petit et lui à frictionner énergiquement ce corps qu’il sentait si nerveux même à travers le plaid.
    — C’est dangereux, vous savez, de s’endormir comme ça dehors en plein hiver. Vous auriez pu mourir.
    Elle lui adressa un pauvre sourire de ses lèvres bleuies. Elle tremblait encore mais sans savoir si c’était de froid, de peur rétrospective à l’idée d’avoir failli mourir, ou tout simplement de bonheur de le voir là, à ses pieds, qui frictionnait ses jambes. Quand il se releva et qu’ils se regardèrent, troublés de cette proximité, ils auraient pu tomber dans les bras l’un de l’autre, se serrer et s’aimer. Mais ils ne le firent pas. La lumière de l’aube, ces premiers passagers qui commençaient à apparaître autour d’eux et les regardaient en passant, une pudeur, quelque chose de cet ordre-là les retint. Mais à la façon dont ils se regardèrent avant de se quitter, elle regagnant sa cabine et lui la sienne, ils comprirent l’un et l’autre qu’ils ne s’attendraient plus longtemps.

 
    53
    Le France quitta New York.
    Il reprit le chemin de la haute mer. Dès la première nuit, il fut à des milles de la côte.
    L’officier et Sophie ne s’étaient pas revus. Chantal et Michèle étaient passées voir Sophie. Elles s’étaient expliquées et comprises. Sophie avait été secouée par l’histoire de Chantal et d’Andrei qui n’avaient pas su se parler et qui étaient passés l’un à côté de l’autre.
    — J’aurais dû lui dire, répétait Chantal, pleine de douleurs. On ne parle jamais à ceux qu’on aime le plus. Pourquoi ? Pourquoi ?
    — Arrête de te mettre martel en tête, avait dit Michèle. Tu as bien compris ce qu’il avait fait, quand même. Un meurtre, même s’il avait des raisons, à son âge en plus, à huit ans, comment veux-tu qu’il en réchappe ? Ça l’aurait poursuivi et vous n’auriez pas pu être heureux. C’est comme ça, c’est la vie.
    — Non, Michèle, ce n’est pas ça la vie. La vie, c’est aimer et dire que l’on aime. L’amour, ça sauve de tout.
    Puis elles étaient parties, remerciant pour Gérard, heureuses pour le France que tout se soit bien terminé. Sophie eut alors une pensée pour Andrei et elle l’imagina, seul dans les rues, dans de froides chambres d’hôtel, errant d’un travail à un autre, usé et épuisé au fur et à mesure que le temps et les années passeraient et que ses forces diminueraient. Pourquoi tant de violences concentrées sur un seul être humain ? Pourquoi le sort s’acharnait-il sur des êtres qu’il semblait avoir désignés pour subir tous les malheurs du monde ?
    Ce premier soir du retour, il y eut beaucoup de vent. Déjà, le France était loin sur le grand océan. Dans le salon, Sophie parlait autour d’un verre avec Béatrice et des amis. Confortablement assis dans les canapés, ravis de ce voyage fabuleux, des soirées qu’ils venaient de vivre, ils se remémoraient les dîners incroyablement copieux et raffinés, le luxe du service, et ils
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