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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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dire.
    Il l’avait rattrapé à la dernière minute juste au sortir de sa cabine, alors qu’avec son bagage à la main il s’apprêtait à quitter le France et à devenir un clandestin. Libre de toute attache en ce monde.
    Il se remémora ce qu’il avait vécu au début de cette nuit qui s’achevait. Quand il était sorti de sa cabine après avoir rangé ses affaires, prêt à partir, il était tombé sur un homme de dos, immobile sur le pont, et qui portait un gros sac de marin sur l’épaule. Ce marin regardait une jeune femme quelques mètres plus loin dont on devinait la silhouette, appuyée contre le bastingage. Elle criait un nom que le vent portait aux oreilles du marin puis de l’officier qui se trouvait derrière : «Andrei... disait-elle, Andrei... Andrei... » Il faisait un clair de lune qui adoucissait les zones d’ombres, mais la jeune femme ne voyait ni le marin ni l’officier. Elle n’entendait que le grondement sourd de la ville et regardait fixement devant elle.
    Est-ce d’entendre ce nom ? Toujours est-il que le marin s’effondra, la tête dans les mains. L’officier crut l’entendre qui pleurait. La scène était si étrange et l’officier en situation si délicate qu’il n’osait pas bouger. C’est au moment où il chercha à s’échapper vers une coursive que le marin l’aperçut. Andrei hésita à prendre la fuite, puis il reconnut dans l’officier l’homme qui l’avait plaqué au sol sur la terrasse. Il vint vers lui et sans mot dire l’entraîna de l’autre côté du navire. C’est alors qu’à son tour l’officier reconnut Andrei et comprit que le nom que criait cette femme était celui du marin.
    — Je pars, avait dit sobrement Andrei. Je quitte le France. Vous pouvez aller me dénoncer, mais ça ne changera rien, si je ne pars pas ce soir je partirai demain, ou plus tard. Mais je partirai.
    Il y avait sur son visage toute la détermination et aussi toute la douleur d’une pareille décision.
    — Vous allez faire quelque chose pour moi. (Pierre Vercors ne bougeait toujours pas.) Pour moi et pour cette femme là-bas.
    — Vous lui direz...
    Mais sa voix s’étrangla dans sa gorge. Il dut se reprendre pour continuer. Ce qu’il avait à confesser était très lourd. Il n’avait pas tout dit à Chantal, et à Gérard non plus. Seul leur père savait ce qui s’était vraiment passé en Russie. Et Andrei ne pourrait jamais faire comme si cette chose terrible qu’il avait faite il y a si longtemps n’avait pas existé. C’était le moment. Il fallait partir, laisser son ami Gérard et sa soeur vivre en paix. Il expliqua qu’il était venu tout révéler à Chantal, et qu’il l’avait trouvée dans le vent de la nuit en train de crier son nom. Et il n’avait pas eu la force de l’aborder, c’était trop tard. Andrei dit qu’il lui fallait à tout prix parler à quelqu’un. Qu’après il s’en irait et qu’on ne le reverrait plus. Il se confia d’une seule traite, sans retenue, sans peur.
    — Vous direz à Chantal et à son frère que je pars et que je ne leur avais pas tout dit. J’ai tué un homme d’un coup de lame. J’avais appris à trancher la gorge des poulets et des cochons à la ferme dans les montagnes d’Oural. J’ai tranché la gorge de cet homme dans son sommeil comme j’avais tranché le cou de ces bêtes. J’avais dix ans. Il a juste eu le temps dans un dernier sursaut de me voir et de balafrer ma joue avec un couteau qu’il gardait sous son oreiller. C’était notre voisin en Russie. C’est lui qui avait dit à ma grand-mère que mes parents s’étaient trahis, qu’ils s’étaient insultés. Je ne regrette rien.
    À ce stade de sa confession, Andrei dut reprendre son souffle. Le souvenir était violent.
    — Dites cela à cette jeune femme. Vous ne comprenez pas ce que je raconte, mais elle, elle comprendra. Et dites-lui aussi que là-bas, en Russie, quand on a trouvé le mort, tout le monde a cherché le coupable. Son père avait fini son voyage, il repartait en France le matin même. J’étais terré dans ma chambre. Quand il a vu ma balafre, il a compris. Il m’a caché, a réussi à tromper les autorités et tout le monde. Il m’a imposé au père de Francis et il m’a emmené en France. Je n’oublie pas, jamais, pas une seconde. Je ne serai jamais un homme comme un autre. Ce couteau ne me quitte pas. Dites-lui, et dites-lui aussi que je ne sais pas aimer, mais que, si j’avais su, c’est elle que
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