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La passagère du France

La passagère du France

Titel: La passagère du France
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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sa gauche tout le flanc du navire, juste au-dessus ses hautes cheminées avec leur chapeau noir, et en contrebas sur sa droite, le quai 88, complètement illuminé en ce soir de fête. Il y avait beaucoup d’animation. Les invités quittaient le navire en habit de soirée, ils s’interpellaient. De belles limousines noires glissaient au bout du quai, les emportant tour à tour. On entendait encore la musique sur les terrasses et les rires des danseurs qui ne pouvaient se résoudre à finir la nuit.
    Sophie était épuisée. Une grande lassitude l’envahit et elle s’allongea dans un transat rouge du pont qui lui tendait les bras. Le ciel était plein d’étoiles. Elle les regardait sans les voir et se demandait comment elle en était arrivée là. Comment elle avait pu transformer ce voyage où elle n’aurait dû n’avoir que du plaisir et du rêve en un voyage éprouvant rempli de luttes et de complications. Rien ne s’était passé comme prévu, pas un dîner normal, pas un jour de tranquillité. Il faisait froid. Elle s’empara d’un plaid écossais qui était à disposition, bien plié en carré dans l’attente de servir. Elle s’en couvrit. Il était chaud, épais et lourd. Juste ce qu’il fallait. Un bien-être la gagna.
    — Que le France est beau ! se dit-elle en regardant la ligne du pont et l’élégant bastingage qui découpait l’Hudson. Comment ai-je fait pour l’oublier, comment ai-je fait pour m’embarquer dans ces histoires ?
    Elle resta immobile sous son plaid, à regarder les étoiles, et sous ce ciel nouveau les regrets s’enfuirent. L’officier apparaissait devant ses yeux qui commençaient à se fermer, elle eut beau essayer de penser à autre chose, il n’y eut bientôt plus que lui, que son visage sous la pluie, que son corps énergique luttant sur la terrasse, que sa silhouette élégante dansant la valse sous les lumières de la salle Chambord.
    Qui était cet officier ? Pourquoi lui avait-il fait ce baiser, pourquoi l’avait-il regardé avec une telle intensité la nuit de la tempête ? Pourquoi ne l’avait-il pas invitée à la valse ? Pourquoi avait-il disparu de la fête ? Où était-il ?

 
    51
    Au même moment, Pierre Vercors regardait la nuit s’évanouir sur New York depuis les vitres haut perchées de la timonerie du France.
    Il avait quitté la fête précipitamment. Le grand paquebot était à quai et il était inutile de veiller, mais après les heures qu’il venait de vivre, il avait besoin de faire à nouveau corps avec son navire, et la timonerie était l’endroit d’où il s’en sentait le plus proche. L’aube pointait et il pensait à cette passagère, à la douceur de sa peau quand il avait enfreint la bienséance qui veut qu’un baisemain ne touche pas la main de la femme. Il n’avait pu se retenir. Pourquoi ? Et pourquoi la rencontrer justement au cours de ce voyage, alors qu’il avait décidé de tout quitter ? Car si le destin ne s’en était pas mêlé, à cette heure l’officier serait déjà loin. Peut-être dans une de ces voitures qui sur les quais roulaient à grande vitesse et qu’il voyait s’enfoncer et se perdre dans le grouillement de la ville américaine. Peut-être seul, déjà plein de regrets, dans une de ces chambres d’hôtel anonymes dont les lumières brillaient dans le bleu de l’aube naissante.
    Car sans que personne ne le soupçonne jamais, hormis peut-être son commandant, l’officier Vercors avait décidé de partir et de ne s’encombrer de rien. D’aucun devoir comme celui qui avait broyé son père et les mille marins avec lui, d’aucune croyance comme celle qui avait mis sa grand-mère à genoux dans de vaines prières qui n’avaient rien changé au tempérament autoritaire de son mari, d’aucune famille et d’aucun amour. Il avait essayé de croire en la vie, en l’amour et il n’y était pas parvenu. Les amours meurent ou se renient, pensait-il. Il en avait tant croisé, des gens qui se trahissent. Pour toutes ces raisons, l’officier avait décidé que le premier voyage du France serait le dernier pour lui. Il croyait en la force des symboles, et c’est pour cette raison qu’il s’était arrangé pour embarquer seul, en civil, et que du haut de la passerelle il s’était retourné pour adresser à sa terre un adieu plein d’amour. C’était l’homme qui partait, pas l’officier. C’était l’homme qui laissait son passé derrière lui.
    Mais le destin avait eu son mot à
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