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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne
Autoren: Donna Cross
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PROLOGUE
    On était en l’an
de grâce 814, au vingt-huitième jour du mois de Wintarmanoth. De mémoire d’homme,
jamais hiver n’avait été aussi rude.
    Hrotrud, la
sage-femme du village d’Ingelheim, avançait péniblement dans la neige en
direction de la chaumière du chanoine. Une rafale de vent s’engouffra entre les
arbres et plaqua sur son corps mille doigts de glace, avides de pénétrer les
accrocs et les coutures de son mince vêtement de laine. Le chemin forestier
était enseveli sous une nappe blanche. À chaque pas, elle s’enfonçait jusqu’aux
genoux. Ses cils, ses sourcils étaient lourds de flocons. Elle devait
continuellement s’essuyer la figure pour discerner quelque chose. Le froid lui
brûlait les mains et les pieds, malgré les chiffons de lin dont elle avait enveloppé
ses membres.
    Une tache noire
apparut devant elle, sur le chemin. La forme d’un corbeau mort. Même ces
charognards endurcis mouraient de faim cet hiver : leurs becs ne
parvenaient plus à découper la chair gelée des cadavres. Avec un nouveau frisson,
Hrotrud pressa le pas.
    Gudrun, la femme
du chanoine, était entrée en couches un mois plus tôt que prévu. Beau moment
pour naître, songea amèrement l’accoucheuse. Cinq enfants mis au monde
ce mois-ci, et aucun n’aura survécu au-delà d’une semaine...
    Un violent
tourbillon de neige aveugla Hrotrud, qui pendant un interminable moment ne
distingua plus rien de ce qui restait du sentier. Une vague de panique l’envahit.
Plus d’un villageois avait ainsi trouvé la mort, errant en cercles à courte
distance de sa demeure. Cernée par un paysage uniformément blanc, elle se força
à rester immobile jusqu’à la fin de la bourrasque. Quand le vent retomba, c’était
tout juste si l’on devinait encore le tracé du chemin. Hrotrud reprit sa
marche. Ses mains et ses pieds ne lui faisaient plus mal. Ils étaient
insensibles. Elle savait ce que cela risquait de signifier, mais ne pouvait se
permettre d’y attacher de l’importance maintenant. Il lui fallait à tout prix
garder son calme. Pense à autre chose.
    Alors, elle revit
la maison de son enfance, une belle casa dotée d’un demi-manse de terre
 – six hectares. Avec ses murs de bois massif, elle était chaude,
douillette, et autrement plus confortable que celles de leurs voisins, faites
de lattes et de torchis. Un grand feu crépitait dans le foyer central, dont la
fumée s’élevait en spirales vers une ouverture aménagée dans le toit. Son père
portait un beau manteau en peau de loutre par-dessus son excellente chemise de
lin ; la longue chevelure noire de sa mère s’ornait de rubans de soie. En
ce temps-là, Hrotrud possédait deux tuniques à manches larges, ainsi qu’un
manteau de la meilleure laine. Elle n’avait pas oublié la caresse de cette
riche étoffe sur sa peau.
    Tout s’était
achevé trop vite. Deux étés de sécheresse, suivis d’une gelée assassine,
avaient anéanti la récolte. Un peu partout, le peuple mourait de faim. En
Thuringe, la rumeur parlait de cannibales. Pendant un temps, grâce à la vente
judicieuse des biens familiaux, son père avait su préserver les siens de la
famine. Mais Hrotrud avait pleuré quand on lui avait pris son manteau de laine,
persuadée qu’il ne pourrait jamais rien lui arriver de pire. À huit ans, elle n’entrevoyait
pas encore la cruauté du monde.
    Luttant contre un
étourdissement croissant, elle contourna une nouvelle congère. Elle n’avait
rien avalé depuis plusieurs jours. Peu importe. Si tout se passe bien, je
festoierai ce soir. Et pour peu que le chanoine soit satisfait, je pourrai
peut-être même repartir avec un peu de jambon.
    Hrotrud émergea
de la forêt. Juste devant elle se dressait la masse indistincte de la
chaumière. À l’écart du paravent des arbres, la couche de neige était plus
épaisse, mais la sage- femme poursuivit hardiment son avance en s’aidant de ses
bras et de ses fortes cuisses, plus confiante à présent que le salut était en
vue.
    Arrivée à la
porte, elle frappa un coup, et entra sans attendre. Il faisait trop froid pour
se soucier des règles de bienséance. À l’intérieur, l’obscurité la fit
écarquiller les yeux. L’unique fenêtre de la chaumière avait été condamnée pour
l’hiver. Une lumière ténue provenait de l’âtre et des quelques chandelles
placées dans la pièce. Au bout d’un moment, sa vision s’étant précisée, elle
repéra les deux petits garçons
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