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La mort du Roi Arthur

La mort du Roi Arthur

Titel: La mort du Roi Arthur
Autoren: Jean Markale
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illégitime. Certes, aux XII e et XIII e  siècles, les règles de l’Amour Courtois établissent cette illégitimité comme indispensable, tous les textes sont à cet égard formels : l’amour véritable n’existe qu’en dehors du mariage et, de préférence, lorsqu’il est adultère, car le mariage n’est qu’une convention sociale et économique qui n’a rien à voir avec les sentiments, ni, moins encore, avec la passion. Dans son toujours remarquable essai sur L’Amour et l’Occident , Denis de Rougemont a fort bien mis en évidence que si Yseult avait été « madame » Tristan, nul ne se serait avisé de conter leur histoire, laquelle eût été alors l’histoire quasiment triviale d’un couple bourgeois. Et Paul Claudel, converti de fraîche date et visiblement oublieux de ses pulsions primaires antérieures, de surenchérir lourdement : « Combien les fumées romantiques de l’amour purement charnel et les braiments de ce grand âne de Tristan me paraissent ridicules ! L’amour humain n’a de beauté que quand il n’est pas accompagné par la satisfaction. Quant aux voluptés de l’amour satisfait, aucun écrivain ne les a jamais dépeintes, car elles n’existent pas. {3}  » En somme, ses dénégations donneraient raison à Denis de Rougemont lui-même lorsqu’il prétend que « Tristan et Yseult ne s’aiment pas […] Ce qu’ils aiment, c’est l’amour, c’est le fait même d’aimer  ». Le débat reste ouvert.
    Il est évident que la situation illégitime, d’où résultent l’éloignement, l’empêchement, la contrainte, le danger, la culpabilisation même, peut devenir un motif d’excitation et de pérennité par l’insatisfaction qu’elle procure. Comme le dit encore Denis de Rougemont, « la brûlure demeure inoubliable, et c’est elle que les amants veulent prolonger et renouveler à l’infini ». Il s’agirait là surtout d’une blessure qui ne se referme jamais, faute d’avoir assez de temps pour cicatriser. Autant dire que cet amour absolu est avant tout un amour tourmenté.
    Là encore, il ne faudrait pas s’y tromper : ce sont les amants eux-mêmes qui sont leurs propres bourreaux. Tristan ne peut supporter l’idée qu’Yseult fasse l’amour en toute légalité, toute impunité avec le roi Marc et que, de plus, elle y prenne un plaisir évident. Cela le détermine à se marier lui aussi, quitte à regretter son acte la nuit même de ses noces, puisque son amour absolu pour Yseult la Blonde réduit à néant le désir physique qu’il éprouvait pour Yseult aux Blanches Mains. Quant à la première, la nouvelle du mariage de son amant n’est sûrement pas faite pour la rasséréner : elle en est malheureuse parce qu’elle se sent trahie. Et la privation de Tristan lui est intolérable.
    La situation de Lancelot et de Guenièvre n’est pas meilleure. Certes, Lancelot se pose moins de questions quant au plaisir éventuel de Guenièvre lorsqu’elle partage la couche d’Arthur, parce qu’il confond aisément le serment d’allégeance amoureuse envers la Dame et le serment féodal envers le Seigneur ; il n’en souffre pas moins de l’éloignement et de l’insatisfaction permanente dans laquelle il se trouve, même s’il transcende plus que Tristan l’image de la femme aimée, véritable déesse qu’il convient d’honorer et de vénérer, pour ne pas dire adorer, jusqu’aux extrêmes limites de la patience (au sens étymologique, c’est-à-dire de la souffrance !). De toute façon, Lancelot ne peut échapper à son intense sentiment de culpabilité vis-à-vis d’Arthur, sentiment qui renforce et son malaise et son « mal-vivre ». En fait, il a beaucoup plus de scrupules que Tristan : il n’oublie pas qu’il représente symboliquement une divinité de lumière et que cette lumière ne saurait en aucun cas admettre de souillure. Cela explique sa désespérance au cours de la quête du Graal d’où ne résultent pour lui que tortures morales, souffrances physiques, traitements ignominieux et échec spirituel. Et là réside l’intérêt du personnage qui, malgré ses origines quasiment divines, ou pour le moins féeriques, demeure profondément humain et, sans conteste, aussi digne de compassion que d’admiration.
    Guenièvre ne connaît pas davantage de sérénité. Elle tremble chaque fois que Lancelot part pour une expédition lointaine car, bien qu’elle le sache le meilleur chevalier du monde, elle craint sans cesse
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