Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La mort du Roi Arthur

La mort du Roi Arthur

Titel: La mort du Roi Arthur
Autoren: Jean Markale
Vom Netzwerk:
eux-mêmes du groupe, et affaiblit d’autant ce dernier. Le déplacement vers l’avenir de la satisfaction du désir est profitable à l’activité économique du groupe, tandis que sa satisfaction immédiate porte préjudice à l’évolution de la société ; Herbert Marcuse l’a largement démontré en analysant les contradictions de la civilisation contemporaine, mais le problème se posait déjà dans la société courtoise des XII e et XIII e  siècles. Tristan et Yseult ne peuvent vivre pleinement leur amour parce qu’ils dérangent le fonctionnement social : voilà pourquoi ils seront rejetés, quelques circonstances atténuantes qu’on leur concède, et finalement éliminés dans la mort. Le contexte sociologique est ici en parfait accord non seulement avec le drame psychologique vécu par les amants mais avec le drame cosmique et mythologique qui se joue à leur insu. Leur faute n’est pas l’adultère en soi (les auteurs insistent tous pour dire que Dieu pardonne aux amants et les protège) mais la perturbation de l’équilibre social dont celui-ci est responsable.
    À cet égard, l’aventure de Lancelot et de Guenièvre va beaucoup plus loin et revêt une exceptionnelle gravité, car elle met en péril le fragile édifice dont le roi Arthur est le pivot obligatoire. Certes, cet amour interdit est paradoxalement l’un des éléments les plus fastes à la constitution de l’édifice qu’est le royaume d’Arthur : grâce à son amour pour Guenièvre, Lancelot accomplit des prouesses dont bénéficient non seulement la reine et lui-même mais l’unité et la solidité du royaume. En fait, le royaume d’Arthur n’atteint son apogée que grâce à l’action de Lancelot, protecteur de la collectivité en même temps que de Guenièvre et d’Arthur. Le roi lui-même en est conscient car, lors de la première apparition de Lancelot à la cour, il a clairement demandé à Guenièvre de faire tout ce qu’il fallait pour retenir le chevalier à la cour et l’attacher ainsi à sa cause. Ainsi Arthur a-t-il accepté d’emblée son « infortune », puisque telle est la fonction du roi de type celtique : la reine, représentant symboliquement la collectivité en ce qu’elle a de plus dynamique, se doit de confier une part de cette dynamique à un agent d’exécution , en l’occurrence son amant. Cela explique d’ailleurs en grande partie l’intransigeance de Guenièvre envers Lancelot, sa dureté, sa jalousie et les épreuves qu’elle lui impose. Arthur le sait pertinemment et, lorsqu’il sera blessé au cours de la mortelle bataille de Kamlann, c’est à Lancelot, tragiquement absent du combat, qu’il songera à confier Excalibur, l’épée de souveraineté qu’on ne peut mettre entre toutes les mains. En fait, les amours de Lancelot et de Guenièvre ne gênent aucunement le roi et ne lui causent aucun tort, tant que cette liaison demeure secrète . Tout cela est conforme aux règles précises de la fine amor , subtile dialectique amoureuse mieux connue sous l’appellation d’Amour Courtois, et éminemment caractéristique des mentalités des XII e et XIII e  siècles {1} . Clandestine, la liaison ne dérange personne, mais sa révélation entraîne la désagrégation de la société.
    En réalité, il faudrait nuancer l’action bénéfique de l’amour de Lancelot pour Guenièvre, car elle ne s’exerce guère que sur le plan social. Si elle génère le triomphe de la chevalerie terrienne, elle n’a aucun effet sur la chevalerie célestielle mise en évidence au cours de la quête du Graal. Lancelot a beau être le meilleur chevalier du monde, il échoue dans cette quête, et les différents auteurs ne manquent pas une occasion d’expliquer que son péché lui interdit d’être admis aux suprêmes mystères du Graal. Or, si rien n’est plus conforme à la morale chrétienne, la véritable cause de l’échec de Lancelot n’est pas là. En effet, les multiples auteurs des romans de la Table Ronde en prennent fort à leur aise avec cette morale chrétienne, gênés qu’ils sont par les impératifs mythologiques qui sous-tendent leurs récits. Tristan et Yseult sont pleinement justifiés par Dieu parce que la cause de leur amour est un philtre magique bu par mégarde {2} . C’est par le biais d’un adultère assez ignoble qu’est conçu le futur roi Arthur, mais Dieu en avait décidé ainsi par l’intermédiaire de Merlin. De même est-ce par un adultère d’intention
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher