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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie
Autoren: Jacques Neirynck
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I
    Raoul Thibaut se réveilla en sursaut lorsque Arsène, son maître d’hôtel, ouvrit les rideaux de soie damassée jaune de la chambre à coucher. Dès que le soleil de juillet, déjà près du zénith, inonda le parquet blond, la lumière envahit toute la pièce d’un seul coup. En tordant la nuque, Raoul découvrit un coin de ciel bleu à travers la fenêtre. La journée s’annonçait superbe, bien qu’il eût préféré continuer à dormir. Dans son rêve, il en était arrivé au point où son mariage avec Florence devenait réalité et approchait de sa consommation.
    Il avait passé le dimanche à Deauville, où Florence avait été chaperonnée par sa mère sans un instant de relâche, sauf la sieste que la bonne dame avait faite en plein air, la bouche ouverte au risque de gober un moucheron. De la prairie voisine, constellée de bouses de vache, vint en renfort une grosse mouche bleue que la dormeuse à moitié éveillée tenta d’écarter d’un geste maladroit, jusqu’à ce que sa fille aille chercher une mousseline, qu’elle déposa délicatement sur le visage de sa mère. Avec ce geste de piété filiale, Florence avait confirmé, une fois de plus, que sa mère ne l’autoriserait jamais à convoler de son vivant et qu’elle-même n’imaginait pas lui faire la moindre peine.
    Enfin, elle assura Raoul de son amour le plus tendre, qu’elle manifesta par un baiser furtif, et elle déplora, les larmes aux yeux, cette cruelle attente que son devoir de fille lui imposait.
    À son réveil, Mme de Luces se plaignit longuement de la nouvelle maladie qu’elle s’était découverte et du nouveau médecin, qui traitait avec diplomatie ce mal imaginaire. En réalité, elle jouissait d’une santé de fer, ne buvant que très peu et du meilleur, modérant son appétit, bonne marcheuse, protégée du souci grâce à sa fortune, dispensée de fatigue par une nuée de domestiques. Raoul supporta la bonne dame pendant la plus grande partie de l’après-midi en agitant sa cuillère dans une tasse de thé tiède, en lui donnant le bras pour une courte promenade dans les allées du parc, en sirotant un verre de porto poussiéreux.
    Raoul revint de Deauville persuadé que son célibat durerait encore bien longtemps. Tandis qu’Arsène conduisait dans la nuit tombante, une blême lueur illuminant le firmament au nord en cette période de solstice, son patron médita sur son infortune et il s’estima bien malheureux, jusqu’à ce qu’un pneu crevé le ramenât, près de Mantes, à la réalité des contretemps de la vie de tous les jours. La tentative de réparation, à la lueur incertaine d’une lampe à acétylène, avait échoué. À minuit, il avait fallu dénicher le garage Collignon, rue Gambetta 29, annoncé dans le Michelin, pour acheter une nouvelle chambre à air. Trouver une rue dans une ville inconnue sans disposer d’un plan relevait de la divination. Raoul ne s’était couché qu’à deux heures du matin. Comme Arsène avait reçu la consigne de laisser dormir son maître, il fallait que quelque chose d’important soit arrivé pour qu’il outrepasse la consigne.
    — M. le président de la République prie Monsieur à déjeuner. Un planton vient d’apporter l’invitation, énonça Arsène sur le ton du plus grand respect. Il avait fait carrière comme adjudant dans la coloniale, puis comme inspecteur à la préfecture de police. Les rapports étroits de Raoul avec le chef de l’État remplissaient Arsène d’extase républicaine.
    Appuyé sur son traversin, Raoul retourna le carton entre ses doigts. Il fit la moue en scrutant les armoiries de la République : le coq gaulois et le sigle RF, un bricolage indigne pour qui se souvenait encore de la fleur de lys et de l’aigle. Mais déjà, grâce au zèle d’Arsène passé dans la salle de bains, l’eau giclait joyeusement dans la baignoire. Comme Armand Fallières déjeunait tôt, Raoul avait tout juste le temps de terminer sa toilette. Le sujet de l’entretien serait sans doute le remplacement du ministère Clemenceau par un nouveau cabinet. Tout Paris bruissait de rumeurs sur le choix de Briand. Or Raoul le connaissait bien pour avoir assuré la liaison entre l’Élysée et le ministère de l’Instruction publique, lorsque Briand en détenait le portefeuille. Fallières était en quête de tous les renseignements disponibles, alors que le métier de Raoul consistait à les rassembler.
    Tout paraissait donc clair et logique,
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