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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles
Autoren: Maurice Druon
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pâle que la guimpe
et le voile où il s’encadrait. Le cadavre, l’embaumement, les viscères
arrachés, et ce chien qui rôdait, qui léchait les linges sanglants… Se
pouvait-il qu’il s’agît de Louis, de l’homme qui avait dormi auprès d’elle,
pendant dix mois ?
    Monseigneur de Valois continuait de
développer ses conclusions macabres. Quand donc se tairait-il, ce personnage
agité, autoritaire, vaniteux qui, tantôt vêtu de bleu, tantôt d’écarlate,
tantôt de noir, apparaissait, à chaque heure importante ou tragique, depuis
qu’elle était en France, pour la chapitrer, l’assourdir de paroles et la faire
agir contre son gré ? Dès le matin de ses noces… Et Clémence se rappela le
jour de son mariage, à Saint-Lyé ; elle revit la route de Troyes, l’église
de campagne, la chambre du petit château, hâtivement aménagée en logis nuptial…
« Ai-je su assez goûter mon bonheur ?… Non, je ne pleurerai pas
devant lui », se dit-elle.
    — Quel est l’auteur de cet
horrible forfait, poursuivait Valois, nous ne savons pas encore ; mais
nous le découvrirons, ma nièce, je vous en fais promesse solennelle… à la
condition bien sûr qu’on m’en reconnaisse les moyens. Nous autres rois…
    Valois ne perdait jamais l’occasion
de rappeler qu’il avait porté deux couronnes, purement nominales, mais qui le
plaçaient quand même sur pied d’égalité avec les princes souverains.
    — Nous autres rois avons des
ennemis qui le sont moins de notre personne que des décisions de notre
puissance. Les gens ne manquent pas qui pouvaient avoir intérêt à vous rendre
veuve. D’abord, il y a les Templiers… dont on a eu grand tort de détruire
l’Ordre, l’avais-je assez dit !… qui ont formé ligue secrète et juré la
perte de notre maison. Mon frère est mort, son premier fils le suit ! En
second lieu, il y a les cardinaux romains. Rappelez-vous que le cardinal
Caëtani a tenté de faire envoûter Louis et votre beau-frère Philippe, dans
l’intention déclarée de les envoyer tous deux les pieds outre. Caëtani a bien
pu chercher à frapper par un autre moyen. Que voulez-vous ? On ne déloge
pas le pape du trône de saint Pierre, comme mon frère l’a fait, sans semer
d’inexpiables ressentiments. En tout cas, Louis est mort… Nous ne pouvons non
plus écarter de nos soupçons nos parents de Bourgogne, qui ont mal accepté la
réclusion infligée à Marguerite, et plus mal encore que vous l’ayez remplacée.
Ils se sont, à ce sujet, répandus en vilenies…
    Clémence le regarda droit dans les
yeux. Charles de Valois se troubla et rougit un peu. Il comprit que Clémence
savait. Mais Clémence ne dit rien. Elle éviterait toujours d’aborder ce sujet.
Elle se sentait chargée d’une culpabilité involontaire. Car cet époux dont elle
vantait l’âme vertueuse avait tout de même, avec la complicité de Valois et de
d’Artois, fait étouffer sa première femme, afin de pouvoir l’épouser, elle, la
nièce du roi de Naples.
    — Et puis il y a la comtesse
Mahaut, votre voisine, qui n’est pas femme à reculer devant un crime, fût-ce le
pire, se hâta d’enchaîner Valois.
    « En quoi est-elle différente
de vous ? pensa Clémence sans oser lui répondre. Il ne semble pas que,
dans cette cour, on hésite beaucoup à tuer. »
    — Or Louis, voici moins d’un
mois, venait de lui confisquer le comté d’Artois, pour l’obliger à se
soumettre.
    Un instant, Clémence se demanda si
Valois, à désigner tant de coupables possibles, ne cherchait pas à brouiller
les pistes, et s’il n’était pas lui-même l’auteur du meurtre. Cette pensée, qui
ne pouvait s’appuyer d’ailleurs sur rien de sensé, lui fit horreur. Non, elle
s’interdisait de soupçonner personne, elle voulait que Louis fût décédé de mort
naturelle. Pourtant le regard de Clémence, inconsciemment, se porta, par la
fenêtre ouverte, sur les frondaisons de la forêt de Vincennes, vers le sud,
dans la direction du château de Conflans, résidence de la comtesse Mahaut.
Quelques jours avant la mort de Louis, Mahaut, en compagnie de sa fille, Jeanne
de Poitiers, était venue faire visite à Clémence. Une fort aimable visite. On
avait admiré les tapisseries de la chambre.
    « Rien n’est plus avilissant
que d’imaginer un félon dans son entourage, pensait Clémence, et de commencer à
chercher la trahison sur chaque visage. »
    — C’est pourquoi, ma chère
nièce, reprit Valois,
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