Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La chambre du diable

La chambre du diable

Titel: La chambre du diable
Autoren: Paul Harding
Vom Netzwerk:
CHAPITRE PREMIER
             « Une
période de terribles troubles ! D’horribles spectacles ! De meurtres
et de subtiles fourberies ! » C’est ainsi que le chroniqueur de
Westminster qualifiait la fin de l’été 1380. Le vieux moine, assis dans son
alcôve dominant la cour du cloître, grattait sa joue non rasée du bout de sa
plume. Comment donner de ces temps une description fidèle ? Le roi n’était
qu’un enfant ; le régent, son oncle Jean de Gand, ce maudit homme de
guerre, dirigeait le royaume. Certains laissaient même entendre qu’il le
convoitait. Les Français avaient pris la mer et leurs navires de combat
attaquaient galères et cogghes anglaises sur les routes maritimes de Bordeaux à
Calais. En Angleterre, les moissons avaient été bonnes ; les prix, pourtant,
ne cessaient de monter, hors de portée des pauvres qui accouraient en foule sur
les grand-routes, passaient le pont de Southwark et pénétraient dans la ville.
    Le pays attendait ! On avait perçu moult signes
et présages. On avait vu un cercueil dans les cieux au-dessus de St Paul :
enveloppé d’un linceul fantomatique, il s’était déplacé d’est en ouest avant de
disparaître dans les nuages bas et menaçants au nord de la cité. Nombreux
étaient ceux qui affirmaient que le danger viendrait de là, des campagnes, des
villages au nord de Cripplegate, des hommes de la glèbe, des culs-terreux qui
labouraient et filaient pour que les riches puissent s’habiller de soie, chevaucher
de beaux destriers, boire de longues rasades de clairet rouge sang et compter
leurs pièces d’argent et d’or. Dans les rues de Londres, on avait ouï des voix
sépulcrales qui prédisaient des malheurs et prophétisaient un désastre. On
avait distingué sur le fleuve, franchissant les tourbillons sous le Pont de
Londres, des barges drapées de noir guidées par des mains invisibles. N’étaient-ce
pas, suggérait-on à mi-voix, les spectres des hommes qui, pour avoir défié le
régent, avaient été décapités ? À présent, leurs têtes, salées et plongées
dans la saumure, décoraient les piques sur le garde-fou de ce même Pont de
Londres.
    Les frères du chroniqueur, les moines de Westminster, prétendaient
que ces prodiges n’étaient que tromperie et bavardages de fols. Les paysans
maintenant bien organisés, qui se faisaient appeler la Grande Communauté du
Royaume, dépêchaient dans la ville des agitateurs, des traîtres, des
incitateurs à la rébellion et à la révolte, qui fomentaient des troubles par
les rues et les ruelles malodorantes. D’autres, moins attachés aux biens de ce
monde, hochaient la tête. Ces signes, sans nul doute, annonçaient les horreurs
encore à venir. Près de la croix de St Paul, un saint homme, qui prétendait
avoir parcouru les déserts de Palestine, ne narrait-il pas, pour un penny
chaque fois, ses visions ? Le projet de Dieu de réduire Londres en flammes ?
De l’entraîner en enfer sans laisser une seule pierre debout ?
    Dans le cimetière de St Erconwald, Pike, le fossier, et
Watkin, le ramasseur de crottin, pourpensaient à ces rumeurs. Installés sous le
vieil if, ils partageaient une gourde de vin et contemplaient le ciel étoilé. Ils
étaient tous les deux fin soûls et auraient dû regagner leur foyer. Mais
quelques chopes de bière à la taverne du Cheval pie, suivies d’une coupe
de vin des Canaries, offerte par Joscelyn, l’aubergiste manchot, avaient suffi
pour que les deux hommes se mettent à parcourir les rues avec la superbe des
grands seigneurs. Ils avaient fait bourse commune et, avant de partir, avaient
acheté une outre rebondie.
    – Soyez prudents, les avait avertis Joscelyn en
regardant ces deux paroissiens tituber, vous avez assez bu. Rentrez donc chez
vous pour cuver !
    – Nous ne chommes point chouls ! avait
pouffé Watkin. Je voudrais cheulement que ton maudit plancher chèche de bouger.
Ch’est une taverne, chéans, et non l’un de tes fichus bateaux de guerre !
    L’aubergiste avait poussé un soupir exaspéré. Puis les
deux compères lui avaient souhaité la bonne nuit.
    – Où allez-vous ? avait lancé le
propriétaire, curieux, en leur emboîtant le pas jusqu’au seuil.
    Il avait souri à Cecily la ribaude, qui, bras dessus
bras dessous avec un élégant jouvenceau, s’éloignait à grands pas vers les
champs, au sud de l’auberge de L’ Évêque de Winchester, endroit renommé
pour les femmes de son genre et leurs clients.
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher