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Joséphine, l'obsession de Napoléon

Joséphine, l'obsession de Napoléon

Titel: Joséphine, l'obsession de Napoléon
Autoren: Gérald Messadié
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l’île et, de toute façon, le savoir n’a pas de langue. Il n’y eut pas d’exception le samedi matin, puisque les Keith étaient catholiques.
    À la fête du dixième anniversaire de Rose, un esclave fut affranchi, selon un souhait auquel son père avait agréé. Son aînée s’était attachée au sort de ces gens dont elle devinait la souffrance. Et il en serait de même à chacun de ses anniversaires et de ceux de sa soeur. L’après-midi, l’on dansa au son d’un clavecin aigrelet et désaccordé, et le partenaire de Rose fut évidemment William. À la fin du premier menuet, il l’embrassa sur la joue et elle frémit.
    Dehors, et raisonnablement loin, les Noirs dansaient aussi, mais au son de pipeaux et de tambourins et sur des airs moins savants que ceux de Grétry. Rose eût rêvé d’entraîner William dans leur cercle, mais, elle le savait, M. de La Pagerie n’y eût pas consenti. Le chef des esclaves désapprouvait déjà ces affranchissements sans raison. Il n’aimait pas non plus que Rose fût quasiment idolâtrée par les Noirs, sur lesquels elle avait autant d’ascendant que lui. La bonté de la fillette transparaissait à leurs yeux, et elle avait le mérite d’être spontanée et non pas réfléchie.
    Il en fut ainsi même pendant le séjour de Rose au pensionnat. Car elle revenait à la maison pour son anniversaire et elle attendait le baiser de William à la fin du traditionnel menuet. Un accord tacite s’imposa : quand ils seraient d’âge, William épouserait Rose. M. de La Pagerie finit par le promettre. Les Keith évoquaient parfois un héritage d’Angleterre qui ferait de leur fils un parti fortuné, ce qui ne gâtait rien.
    Un soir, devançant de loin l’anniversaire, William embrassa Rose sur la bouche. Baiser furtif, certes, mais il enflamma la future fiancée. Elle enlaça soudain son promis et lui rendit fougueusement son baiser. Des bruits de pas les séparèrent.
    Puis le monde s’écroula.
    Un matin, M. Keith s’embarqua pour l’Angleterre, emmenant William. Il allait faire valoir ses droits sur l’héritage d’un oncle, Lord Lovat.
    — Je reviendrai, promit William à Rose en larmes.
    Les semaines, puis les mois s’écoulèrent, il ne revint pas.
    — Il poursuit ses études à l’université d’Oxford, se limitait à dire Mme Keith.
    Pourquoi n’écrivait-il donc pas ? Comment expliquer tant de froideur ?
    Dans sa frustration, Rose pratiqua le passe-nerfs recommandé par Jean-Jacques Rousseau : jeter des cailloux sur des troncs d’arbre ; s’ils atteignent leur but, le voeu que l’on fait sera exaucé, sinon, c’est l’échec. Elle les manqua tous.
    Puis l’image d’une certaine mulâtresse, Euphémie, prit corps. On ne prononçait pas son nom à la légère : elle était la magicienne de l’île et chacun redoutait ses humeurs. Elle lisait les lignes de la main, prédisait l’avenir et jetait ou déliait des sorts.
    — Allons voir Euphémie, dit-elle un jour à deux de ses camarades de jeux.
    Elle ne l’eût certes pas proposé à Manette, qui l’eût dissuadée de recourir aux services des puissances ténébreuses et qui eût même prévenu leur mère.
    — Allons.
    Elles se promirent de le faire dès le lendemain.
    Fille d’un Irlandais, Euphémie logeait dans une cabane près des Trois-Ilets, au bout d’une allée bordée de hautes plantes aux fleurs énormes, des Amaryllis gigantea. Quand les trois donzelles arrivèrent à la porte, elles regrettèrent leur initiative. Quelle folie ! Elles affronteraient à coup sûr des serpents géants et des hiboux furieux. Les esprits infernaux s’empareraient d’elles…
    — Ne craignez rien, dit une voix de l’intérieur de la maison. Ce n’est pas ici la porte des Enfers.
    Et Euphémie s’avança, quinquagénaire sans doute aux yeux cernés et au corps flétri. Les trois jeunes filles entrèrent, et l’une d’elles, Sophie de Sivry, offrit à la voyante un petit sac de moka, pour la cérémonie du marc de café. L’appréhension de Rose se changea lentement en méfiance, puis en désintérêt. Si elle n’avait elle-même eu l’idée de cette visite, elle se serait enfuie. Elle se tint en retrait, écoutant les vaticinations de la voyante, tandis que celle-ci examinait les mains de ses compagnes. Des prédictions, la belle jambe ! Si elles s’accomplissaient jamais, ce serait loin d’ici, dans le temps et l’espace, et tout le monde alors aurait oublié
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