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HHhH

HHhH

Titel: HHhH
Autoren: Laurent Binet
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centième fois, je suis
revenu à Prague. Accompagné d’une autre jeune femme, la splendide Natacha
(française, celle-ci, en dépit de son nom : fille de communistes, comme
nous tous), je suis retourné à la crypte. Le premier jour, elle était fermée
pour cause de fête nationale, mais en face, je ne m’en étais jamais avisé
auparavant, il y a un bar qui s’appelle « Aux parachutistes ». A
l’intérieur, les murs sont tapissés de photos, de documents, de fresques et
d’affiches relatifs à l’affaire. Au fond, une grande peinture murale représente
la Grande-Bretagne, avec des points qui indiquent les différentes bases
militaires où les commandos de l’armée tchèque en exil se préparaient à leurs
missions. J’ai bu une bière avec Natacha.
    Le lendemain, nous sommes
revenus à une heure ouvrable et j’ai montré la crypte à Natacha, qui a pris
quelques photos à ma demande. Dans le hall, un petit film était projeté, qui
reconstituait l’attentat : j’ai essayé de repérer les lieux du drame pour
me rendre sur place mais c’est assez loin du centre-ville, en banlieue. Les
noms des rues ont changé, j’ai encore du mal à situer précisément l’endroit
exact de l’attaque. À la sortie de la crypte, j’ai récupéré un prospectus
bilingue qui annonçait une exposition intitulée « Atentát » en
tchèque, « Assassination » en anglais. Entre les deux titres, une photo
montrait Heydrich, entouré d’officiels allemands et flanqué de son bras droit
local, le Sudète Karl Hermann Frank, tous en grand uniforme, en train de gravir
des escaliers lambrissés. Sur le visage d’Heydrich, une cible rouge avait été
imprimée. L’exposition avait lieu au musée de l’Armée, non loin de Florenc, la
station de métro, mais il n’y avait aucune indication de date (seuls les
horaires d’ouverture du musée étaient mentionnés). Nous nous y sommes rendus le
jour même.
    À l’entrée du musée, une petite
dame assez âgée nous a accueillis avec beaucoup de sollicitude : elle
semblait heureuse de voir des visiteurs et nous a invités à parcourir les
différentes galeries du bâtiment. Mais une seule m’intéressait, que je lui ai
désignée : celle dont l’entrée était décorée d’un énorme carton-pâte
annonçant, à la manière d’une affiche de film d’horreur hollywoodien,
l’exposition sur Heydrich. Je me suis demandé si cette exposition était
permanente. En tout cas, elle était gratuite, comme l’ensemble du musée, et la
petite dame, qui s’est enquise de notre nationalité, nous a remis un fascicule
d’accompagnement en anglais (elle était navrée de ne pouvoir nous proposer
qu’anglais ou allemand).
    L’exposition dépassait toutes
mes espérances. Là, il y avait vraiment tout : outre des photos, des
lettres, des affiches et des documents divers, j’ai vu les armes et les effets
personnels des parachutistes, leurs dossiers remplis par les services anglais,
avec notes, appréciations, évaluations des compétences, la Mercedes d’Heydrich,
avec son pneu crevé et son trou dans la portière arrière droite, la lettre
fatale de l’amant à sa maîtresse qui fut la cause du massacre de Lidice, à côté
de leurs passeports respectifs avec leur photo, et quantité d’autres traces
authentiques et bouleversantes de ce qui s’est passé. J’ai pris fébrilement des
notes, tout en sachant qu’il y avait beaucoup trop de noms, de dates, de
détails. En sortant, j’ai demandé à la petite dame s’il était possible
d’acheter le fascicule qu’elle m’avait remis pour la visite, dans lequel toutes
les légendes et commentaires de l’exposition étaient retranscrits : elle
m’a dit que non, d’un air désolé. Ce livret, très bien fait, était broché à la
main, et n’avait manifestement pas été destiné à la commercialisation. Me voyant
perplexe, et sans doute touchée par mes efforts pour baragouiner le tchèque, la
petite dame a fini par me prendre le fascicule des mains et, avec un air
déterminé, l’a fourré dans le sac à main de Natacha. Elle nous a fait signe de
nous taire, et de partir. Nous l’avons saluée avec effusion. Il est vrai que vu
le nombre de visiteurs du musée, le fascicule n’a assurément fait défaut à
personne. Mais quand même, c’était vraiment gentil. Le surlendemain, une heure
avant le départ de notre bus pour Paris, je suis retourné au musée pour offrir
des chocolats à cette petite dame
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