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Haute-savane

Haute-savane

Titel: Haute-savane
Autoren: Juliette Benzoni
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Madalen, c’était se priver du plaisir doux-amer de se déchirer en sachant parfaitement qu’elle ne serait jamais à lui. Or, elle avait pris dans sa vie une telle place que, ne plus la voir, ne plus l’entendre, revenait pour le jeune homme à renoncer à l’existence. Et puis il y avait plus grave : il n’avait pas le droit de manquer à la parole donnée à Pierre Gauthier la nuit de la découverte du trésor, de veiller à jamais sur sa famille et de la garder toujours auprès de lui… Et le Gerfaut continua de creuser sa route vers les États-Unis sans que ses passagers soupçonnassent un seul instant que leur destin avait été à deux doigts de changer de cap.
    Le vent fraîchit tout à coup et le navire fit une légère embardée, conséquence logique de la brève inattention de Gilles dont les yeux dévoraient l’ombre douce posée près des haubans. Il le redressa aisément, mais la secousse avait rompu le fil du rêve de Madalen qui avait dû se retenir à un filin. Furieux après lui-même, Gilles, occupé à corriger sa route, dut voir Pierre Ménard se précipiter vers la jeune fille et lui offrir son bras pour la ramener vers sa cabine.
    Quand le jeune homme revint et escalada la dunette dans l’intention évidente de tancer le timonier maladroit, Gilles s’excusa et, bien entendu, Ménard, reconnaissant le maître du bateau, lui rendit la politesse.
    — Reprenez la barre, mon ami, fit le chevalier. Je ne suis décidément pas en forme cette nuit et je vais vous envoyer le pilote de quart…
    Ces quelques mots lui coûtèrent car son impulsion profonde le poussait plutôt à aplatir la figure de ce garçon qui avait osé offrir son bras à Madalen. Mais le moyen de se comporter de la sorte quand on est pris par un sous-ordre en flagrant délit d’incapacité ? Rageant et pestant, il regagna sa cabine dont il ouvrit la porte d’un coup de pied. Un léger cri fit écho au fracas du vantail tapant contre la muraille de bois.
    — Oh ! que vous m’avez fait peur, monsieur le chevalier ! flûta une voix d’oiseau et Fanchon, qui attendait assise sur l’un des bancs fixés au mur, se leva.
    Elle avait l’air inquiet.
    — Qu’est-ce que vous faites là, vous ? aboya Gilles peu sensible aux soucis d’autrui.
    La brutalité du ton ouvrit les vannes et Fanchon se mit à sangloter tandis qu’une véritable marée de larmes inondait son visage – un petit visage triangulaire éclairé par deux yeux bruns assez beaux et troué de deux attendrissantes fossettes… qui n’attendrirent d’ailleurs aucunement le jeune homme. Croisant les bras sur sa poitrine, il considéra la fille en larmes avec un léger dégoût.
    — Voilà bien autre chose à présent ! Pourquoi diable pleurez-vous, ma fille ?
    — C’est que j’ai… j’ai si peur, mon… monsieur le chevalier !
    — Peur ? Et de quoi ? Nous avons eu un coup de vent mais il se calme déjà.
    — Oh, ce n’est pas… la mer. C’est ma… madame !
    — Madame ? Qu y a-t-il ? Serait-elle plus mal ? Allons ! Parlez, bon sang ! Vous êtes là à me regarder comme une oie…
    — Non, elle ne va pas plus mal. Et même elle dort. Seulement elle parle, en dormant, et elle dit des choses terribles. Oh ! j’ai peur, j’ai peur ! Protégez-moi, monsieur le chevalier, j’ai si peur…
    Avant qu’il ait pu l’en empêcher, Fanchon se jetait sur lui, glissait ses bras autour de son cou et s’y suspendait avec une force inattendue. Dans l’impétuosité de son élan, la grande cape sombre qui l’enveloppait glissa de ses épaules et tomba sur le parquet laissant paraître la blanche chemise de nuit dont la jeune fille était vêtue. Et Gilles, en posant ses mains sur Fanchon pour l’éloigner de lui et l’inviter à plus de retenue, sentit soudain, à travers le mince tissu, la chaleur et les formes élastiques d’un corps agréablement potelé. L’impression fut plutôt plaisante mais il s’en défendit noblement.
    — Lâchez-moi, voyons ! gronda-t-il avec une sévérité qu’il forçait un peu. Tout cela est ridicule ! Pourquoi, diable, auriez-vous peur des cauchemars de votre maîtresse ? Et, si cela est, vous n’avez qu’à la réveiller. Vous lui aurez au moins rendu service. Allons, lâchez-moi !
    Il perdait ses paroles. Non seulement Fanchon n’en fit rien mais il parut à Gilles qu’elle resserrait encore son étreinte. Le visage enfoui contre l’épaule du jeune homme, elle balbutiait des
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