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Enfance

Enfance

Titel: Enfance
Autoren: Nathalie Sarraute
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file… S’il arrive par malheur que je n’aie pas assez d’air pour tenir tout au long de la traversée, il est hors de question que je mette la main sur mon nez… elle me l’a permis pourtant… mais il m’est impossible de le faire… je peux juste aspirer par minuscules bouffées en détournant la tête, mais sans trop la détourner, cela pourrait lui faire deviner la répulsion produite en moi… pas par elle, pas par ce qu’elle est, pas du tout par ce qu’il y a en elle, mais seulement par ce qui apparaît parfois sous son fichu entrebâillé, la peau luisante et jaunâtre de son crâne entre les mèches de cheveux trempés.  
    Passé les grilles du Grand Luxembourg, plus de savantes traversées, elle s’installe à une place non loin du bassin, le dos tourné à la vaste façade blanche… Je ne sais pas lire sur la grande horloge pour savoir si c’est l’heure du goûter, mais j’observe les autres enfants et aussitôt que j’en vois un qui reçoit le sien, je me précipite… elle m’a vue venir, elle me tend ma barre de chocolat et mon petit pain, je les saisis, je la remercie de la tête et je m’éloigne…  
    — Pour faire quoi ?  
    — Ah, n’essaie pas de me tendre un piège… Pour faire n’importe quoi, ce que font tous les enfants qui jouent, courent, poussent leurs bateaux, leurs cerceaux, sautent à la corde, s’arrêtent soudain et l’œil fixe observent les autres enfants, les gens assis sur les bancs de pierre, sur les chaises… ils restent plantés devant eux bouche bée…  
    — Peut-être le faisais-tu plus que d’autres, peut-être autrement…  
    — Non, je ne dirai pas ça… je le faisais comme le font beaucoup d’enfants… et avec probablement des constatations et des réflexions du même ordre… en tout cas rien ne m’en est resté et ce n’est tout de même pas toi, qui vas me pousser à chercher à combler ce trou par un replâtrage.  

 
    Hors de ce jardin lumineux, éclatant et vibrant, tout est comme recouvert de grisaille, a un air plutôt morne, ou plutôt comme un peu étriqué… mais jamais triste. Pas même ce qui m’est resté de l’école maternelle… une cour nue entourée de hauts murs sombres autour de laquelle nous marchons à la queue leu leu, vêtus de tabliers noirs et chaussés de sabots.  
     
    Là pourtant surgissant de cette brume, la brusque violence de la terreur, de l’horreur… je hurle, je me débats… qu’est-il arrivé ? que m’arrive-t-il ?
    « Ta grand-mère va venir te voir »… maman m’a dit ça… Ma grand-mère ? la mère de papa ? Est-ce possible ? Elle va venir pour de vrai ? elle ne vient jamais, elle est si loin… je ne me souviens pas du tout d’elle, mais je sens sa présence par les petites lettres caressantes qu’elle m’envoie de là-bas, par ces boîtes en bois tendre gravées de jolies images dont on peut suivre les contours creux avec son doigt, ces coupes de bois peint couvertes d’un vernis doux au toucher… « Quand arrivera-t-elle ? quand sera-t-elle là ?… – Demain après-midi… Tu n’iras pas à la promenade… »
    Je l’attends, je guette, j’écoute les pas dans l’escalier, sur le palier… voilà, c’est elle, on a sonné à la porte, je veux me précipiter, on me retient, attends, ne bouge pas… la porte de ma chambre s’ouvre, un homme et une femme vêtus de blouses blanches me saisissent, on me prend sur les genoux, on me serre, je me débats, on m’appuie sur la bouche, sur le nez un morceau de ouate, un masque, d’où quelque chose d’atroce, d’asphyxiant se dégage, m’étouffe, m’emplit les poumons, monte dans ma tête, mourir c’est ça, je meurs… Et puis je revis, je suis dans mon lit, ma gorge brûle, mes larmes coulent, maman les essuie… « Mon petit chaton, il fallait t’opérer, tu comprends, on t’a enlevé de la gorge quelque chose qui te faisait du mal, c’était mauvais pour toi… dors, maintenant c’est fini… »  
    — Combien de temps il t’a fallu pour en arriver à te dire qu’elle n’essayait jamais, sinon très distraitement et maladroitement, de se mettre à ta place…  
    — Oui, curieusement cette indifférence, cette désinvolture, faisaient partie de son charme, au sens propre du mot elle me charmait… Jamais aucune parole, si puissamment lancée qu’elle fût, n’a eu en tombant en moi la force de percussion de certaines des siennes.  
    « Si tu touches à un poteau comme celui-là,
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