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Cheyenn

Cheyenn

Titel: Cheyenn
Autoren: François Emmanuel
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existait déjà du temps où ils vivaient ensemble mais comme une monomanie douce, puis c’était devenu plus fort dans les lettres quand il s’était mis à signer Cheyenn. De toute façon c’était sa lubie, sa folie, son obsession, cela le faisait tenir tant bien que mal, disait-elle, mais il n’y avait place que pour lui dans ce monde-là. Et elle me fixa soudain avec une insistance sombre, murmurant très bas : que puis-je vous dire d’autre ? C’était moins une question qu’une sorte de mise au défi tremblante. Il y eut un assez long temps de silence puis quelque chose se produisit : je la vis détourner les yeux vers le parc, les plisser comme pour se retenir de pleurer. La fatigue me rend sensible, s’excusa-t-elle, tout à l’heure j’aurais tout fait pour annuler notre rendez-vous et maintenant que je suis en face de vous je me sens aussi perdue que la première fois. Quelle première fois ? Elle m’adressa en réponse un long regard muet, interrogatif, j’avais l’impression qu’elle me demandait pourquoi êtes-vous arrivé dans ma vie sous le prétexte d’un film sur Cheyenn, pourquoi êtes-vous là en face de moi ?
    Si vous deviez faire un film sur lui, comment le verriez-vous ? S’il y avait une seule image, quelle serait cette image ? Elle ne rejeta pas ma question, je vis qu’elle l’avait entendue, se laissait interroger par elle. Il m’est arrivé quelquefois de vouloir écrire à propos de cette histoire, dit-elle, mais tout cela était personnel, beaucoup trop personnel. Elle réfléchit un temps puis : sans doute faudrait-il montrer un ailleurs, un homme qui construit un ailleurs, on croit qu’il est là mais il n’est pas là, il est dans cette fabrication incessante, jamais achevée, toutes ses forces sont requises par ce paysage d’ailleurs qu’il recompose à chaque instant et que tout autour de lui vient démentir parce qu’il n’y a pas de paysage, il n’y a que du béton, des tunnels, des murs… Derrière ses fines lunettes les yeux de Mauda cherchaient à préciser une scène. Peut-être aussi cette autre image, reprit-elle : il voudrait rassembler ce qui est épars, il s’est donné pour tâche de lutter contre la dispersion des choses, alors il court partout dans la ville, il ramasse tout ce qu’il trouve, il fait des tas et des sacs, du matin au soir, c’est sa folie, sa quête, on dirait qu’il veut rassembler les morceaux du grand tissu rapiécé de la ville. Et elle eut ces mots que je n’avais jamais entendus de personne : rares sont les films où l’image extérieure rejoint l’image intérieure. Mais qu’était l’image intérieure ? Ce qui reste quand se sont dissipées toutes les images inutiles, dit-elle, le fatras d’images inutiles. Elle esquissa un premier sourire, mais c’est vous le cinéaste, fit-elle ingénument observer.
    Quelque chose entre nous commençait à se nouer. Je la sentais toujours rétive à me faire confiance et pourtant troublée par ce qui m’amenait jusqu’à elle. Tentée d’évidence par le projet du film. Et comme j’aimais alors sa droiture, sa grâce fragile, ce visage à la carnation si pâle qu’un coup d’ongle l’aurait fait saigner. Elle finit par accepter un nouveau rendez-vous le lendemain sur la même terrasse de brasserie. Il faisait ce jour-là aussi doux que la veille sous le soleil de mai. J’étais venu sans ma caméra, je me gardais bien de prendre la moindre note. Elle continuait à imaginer le film, elle semblait s’être laissé prendre au jeu, parlant du film elle parlait de lui. Avant de signer Cheyenn, disait-elle, il signait Sweet Medecine puis un moment Wounded Eye, Œil Blessé. Le glissement avait dû se faire à partir de ses propres initiales S.M. comme une possession lente, une dépossession. De S.M. à Sweet Medecine, puis Wounded Eye, puis Cheyenn. Sweet Medecine du nom du héros de la nation cheyenne, son sauveur, son messie, lui qui né d’une vierge avait été recueilli par une vieille dans un abri de bois flotté, allaité ensuite par plusieurs femmes de la tribu, accomplissant dès l’enfance des miracles, puis s’exilant dans la montagne où l’on dit que lui furent enseignées l’organisation et les cérémonies de son peuple. Ensuite Wounded Eye, à cause d’une bride à la paupière droite et parce que Wounded Eye avait été un temps le gardien du sac-médecine et de la coiffe sacrée. Mais c’était peut-être l’un et l’autre, disait
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