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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Autoren: Michèle Cotta
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Avant-propos
    Mon univers a basculé le jour où un vieil ami de mon père a donné à la petite fille que j’étais encore, comme cadeau d’anniversaire, le Journal d’André Gide. L’émerveillement fut immédiat. Ainsi donc, on pouvait écrire, tous les jours, ce qui vous passait par la tête ou le cœur, choses vues ou pensées secrètes, désirs inavoués ou banalités.
    Je m’y exerçai aussitôt. Tout de suite le bonheur d’écrire chaque jour sur le même cahier d’écolier m’a submergée. Rien de plus précieux pour moi, la nuit tombée – sous mes couvertures, avec une lampe de poche pour échapper à la censure maternelle, lorsque j’étais enfant, plus confortablement par la suite, mais toujours la nuit, lorsque le téléphone a cessé de sonner, quand les maisons deviennent soudain silencieuses –, que de rédiger, en plusieurs pages ou sur quelques lignes, la chronique du jour.
    Assez vite, c’est devenu un besoin. D’abord ce furent les révoltes de l’adolescence, sa confusion, ses interrogations existentielles qui me fournirent l’occasion de défoulements aussi inutiles qu’interminables. Puis le départ de Nice, la montée à Paris, les études, les nouvelles connaissances alimentèrent ces écrits quotidiens. L’entrée dans la vie professionnelle – à L’Express , en 1964 – a définitivement transformé en nécessité ce qui n’était qu’une irrépressible occupation.
    Les cahiers, depuis 1965, sont toujours les mêmes : Clairefontaine, Oxford ou Velin d’Angoulême, il s’agit des mêmes gros carreaux, de la même marge rouge qui permet corrections, notes et surlignages.Au fil du temps, ils ont envahi mes rayonnages. En plus de quarante ans, je n’en ai égaré qu’un, à l’occasion d’un déménagement. En revanche, il m’est arrivé, une seule fois dans ma vie, qu’un de mes cahiers ait été lu, en mon absence, par un proche trop curieux. Il me fallut six mois pour oublier le traumatisme de ce vol qui m’apparut alors comme un viol.
    Parfois, il s’agit d’un texte rédigé avec le plus grand soin, comme destiné à une publication immédiate, ne nécessitant ni mise au point ni relecture supplémentaire ; parfois, au contraire, ce sont des notes hâtives, à l’écriture déformée par la rapidité, à peine compréhensibles, hélas trop souvent non datées. De temps en temps figurent, agrafées, collées ou « scotchées », des pages complémentaires, fruits d’une écriture diurne en l’absence du cahier resté sur la table de chevet ou au bureau. Sous une forme ou une autre, de 1965 à aujourd’hui, à l’exception de quelques mois, j’ai écrit sinon tous les jours, du moins plusieurs fois par semaine. Plus facilement lorsque, travaillant dans un hebdomadaire –  L’Express ou Le Point  –, le temps m’était laissé d’une narration quotidienne. Plus difficilement à la radio où la pression de l’instantané, le nombre des éditions, les horaires trop matinaux empêchent souvent la rédaction nocturne.

    Pourquoi la politique est-elle progressivement devenue, à partir de 1965, l’objet à peu près unique de ces chroniques ? Le plus simplement du monde. Parce que mes premiers souvenirs sont des souvenirs des campagnes électorales paternelles. Parce que rien, enfant déjà, ne me paraissait plus magique que l’éloquence de la politique ou du prétoire. Parce que, plus tard, dans la khâgne où je me risquai, à l’université ou à l’Institut d’études politiques, je me passionnai d’emblée pour les liens si forts qu’entretiennent la politique et la littérature. Parce qu’enfin la guerre d’Algérie a été pour ma génération l’occasion d’une mise en cause d’un pan de notre histoire, celle de la décolonisation et, au-delà, des partis politiques, des gouvernements et plus largement de la IV e République tout entière.

    Entrée des chars soviétiques en Hongrie en 1956, hypocrisie de nos gouvernants autour des « événements d’Algérie » qu’ils n’osaient pas appeler « guerre », faillite du pouvoir politique en mai 1958, retour aux affaires du général de Gaulle, référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel : ma conscience politique s’est formée dans ces quelques années-là. Comme celle detoute une génération. C’est alors que, progressivement, mes cahiers vaguement intimes sont vraiment devenus des cahiers politiques. L’entrée à
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