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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone
Autoren: Keith Abott
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poissons comme ça ! » il a crié à notre intention.
    Nous nous sommes glissés jusqu’à lui. Quelques touristes
s’apprêtaient à déguerpir : notre dégaine ne leur plaisait pas.
    A cette période, le Golden Gâte Park n’avait pas encore été
envahi par les hippies, si bien que notre aspect extérieur jurait avec le
paysage. Richard portait son chapeau gris élimé et sa veste aux différents
insignes épinglés, dans le même accoutrement que sur la couverture de La
Pêche à la truite. Moi, je portais une chemise qui me tombait sur les
genoux, avec le mot HIPPO brodé
dans le dos. Price, vêtu comme d’habitude d’un jean et d’un tee-shirt, avait
sur le nez ses petites lunettes rondes rafistolées avec du sparadrap, et, du
haut de son mètre quatre-vingt-douze, ressemblait à un Hell’s Angel à l’heure
du casse-croûte.
    Price a continué à faire de grands signes à l’énorme poisson
qui nageait derrière son improbable museau d’alligator.
    « Anguille ! » il s’est mis à gueuler,
« wahou, on en rapportait des aussi gros que ça. Et tu sais comment on s’y
prenait pour les choper ? »
    Ni Richard ni moi n’avions bronché. Nous observions les
touristes effarés.
    « Faut d’abord un épi de maïs », a expliqué Price
qui en oubliait les gens effarouchés. « Bon, et ensuite une longue perche
en bambou, tu vois le genre. Un brin de ficelle et un hameçon au bout, puis tu
accroches l’épi de maïs à l’hameçon et tu le lourdes à la baille. »
    Price s’est retourné vers les poissons, a largué l’épi de
maïs imaginaire dans l’aquarium ; sa voix s’est métamorphosée en un
murmure.
    « Attirée par le maïs, la vieille anguille se pointe,
elle est juste là, tu l’observes bien maintenant. »
    Un instant, il a abandonné sa position de pêcheur. La foule
a reculé encore d’un pas. Sa voix a monté d’un cran :
    « Nom de Dieu, elles sont aussi mahousses qu’un
immeuble. »
    A nouveau, sa voix est redevenue murmure ; il s’est
accroupi pour montrer comment il fallait tenir la gaule.
    « Donc, l’anguille se pointe, alléchée par ton épi… tu
la vois vraiment bien », et, à ce moment-là, Price a poussé un hurlement,
« tu fous ta gaule par terre, tu prends ton flingue, et tu défourailles
dessus. »
    En un clin d’œil, la marée des touristes s’est évaporée, ne
doutant pas que ce type et les deux autres cinglés allaient ressusciter leurs
souvenirs d’enfance, tirer des flingues de dessous leurs vêtements et dégainer
sur les aquariums.
    Nous nous sommes regardés, Richard et moi. Nous étions tous
les deux du Nord-Ouest, élevés selon un certain code en matière de pêche. Nous
avons chacun agrippé Price par un bras, et l’avons éloigné des anguilles. Plus
tard en évoquant ces scènes, nous nous sommes rendu compte que la même
réflexion nous avait traversé l’esprit : « Jamais entendu parler
d’une technique de pêche aussi saugrenue : on ne fusille pas les poissons,
on les pêche. »
    A partir de ce moment-là, Richard et moi, nous sommes
rapidement devenus copains, liés par cette fascination que nous partagions pour
la vie extravagante et souvent invraisemblable de Price. Lorsque Price nous
contait quelque chose de merveilleux, Richard et moi plaisantions pour savoir
lequel des deux disposerait des droits pour les écrits ultérieurs.
    Ceci, par exemple : une des corvées de son enfance dans
l’Alabama consistait à détacher les chaînes de son oncle fou enfermé au
grenier, pour aller l’attacher à un arbre pendant les orages, car, semblait-il,
la pluie avait sur lui un effet calmant prodigieux. « Bon, celle-là, elle
est pour toi. » « Non, vas-y, prends-la, je te la laisse. C’est trop,
je n’arriverai pas à m’en sortir. »
    En dépit de sa timidité, Richard avait cette étonnante
faculté de faire entrer les gens dans sa vie. Ce à quoi il était le plus
fidèle, c’était à sa propre imagination. Dès qu’il sentait que vous partagiez
cela avec lui, alors c’était gagné. C’est ainsi que notre amitié fut scellée
grâce aussi à notre fascination commune pour Price.
    A chaque retrouvaille, Richard s’enquérait de Price. Quelque
scandale, quelque record ? Cette moto délabrée, avait-il réussi à la
vendre une quatrième fois ? (Jusqu’à maintenant, il était déjà parvenu à
la vendre trois fois, à trois personnes différentes, et avait réussi chaque
fois à récupérer
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