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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone
Autoren: Keith Abott
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une scène
d’horreur gothique à petit budget.
    Des rideaux rose pâle, suspendus au-dessus du couloir
obscur, dissimulaient la peinture décrépite du plafond. Des affiches annonçant
des lectures publiques étaient punaisées sur des murs striés de traces
d’humidité aux côtés de bouts de papier singuliers rédigés à la main, comme une
feuille à moitié gommée sur laquelle était griffonné : « C’est
aujourd’hui le premier jour de votre vie. » A travers la porte ouverte du
bureau de Richard, j’aperçus une vieille machine à écrire IBM sur une table, un
rideau gris déchiré devant l’étroite fenêtre, des tas de magazines, des
manuscrits et des livres empilés partout à terre.
    Brautigan nous conduisit à la cuisine. Une fois installés,
Price et lui commencèrent à plaisanter, égrenant leurs blagues habituelles et
se tenant au courant de leurs dernières aventures. A chaque fois que quelqu’un
racontait une histoire savoureuse, Richard essayait de rapetisser sa grande
taille et ses longues jambes. Il croisait ses mains devant lui, les paumes à
l’extérieur, pour incarner de son mieux le rôle de l’auditeur tout ouïe. La
couverture du roman Avortement est une bonne approche de cette posture.
Lorsqu’il se mettait en position d’écoute, il adoptait cette façon amusante de
se tenir debout, à la manière d’un oiseau, scrutant les alentours du haut de
son mètre quatre-vingt-douze. De cette lisière imaginaire, il se lançait dans
la conversation qu’il agrémentait d’un commentaire approprié avant de
s’embarquer dans une digression aussi fantastique qu’extravagante.
    Tandis que Price et Richard poursuivaient leurs facéties
dans la cuisine, je fouinais dans l’appartement. Un lit dans la pièce de
devant. Un petit escabeau à ses pieds, dont la marche supérieure était
capitonnée de velours à pompons rouges. Un four à bois rouillé dans le fond
d’une cheminée inutilisée. Les étagères du placard chargées de livres, un
assortiment de clés rouillées, de pièces de monnaie, cailloux, plumes, bocaux
en verre et un miroir à main fêlé au cadre argenté. Une image sentimentale
représentait une tête de mustang dans un fer à cheval porte-bonheur, avec en
dessous l’inscription « Encule la mort ». Des gadgets des Hell’s
Angels, posters et épaulettes étaient éparpillés dans la pièce. Étranges signes
machos, me suis-je dit à l’époque, pour quelqu’un dont la poésie semble si
délicate, romantique et fragile.
    A côté d’une chaise en osier, contre le mur, se trouvait un
magazine de l’armée, un manuel de pêche à la truite, dont la couverture était
kaki. Richard remarqua que je m’y intéressais et fit irruption depuis la
cuisine. Il prit grand plaisir à nous montrer ce manuel, soulignant au passage
le contraste entre le langage officiel mort et le sujet vif-argent bien vivant.
    A cette époque, La Pêche à la truite n’était pas
encore publiée, et je n’avais aucune idée de la raison pour laquelle Richard
prenait la peine de scander à voix haute des bribes d’un manuel des armées à
l’usage des pêcheurs. Je n’y vis sur le coup qu’une autre de ses excentricités.
    On ne trouvait dans la cuisine que les ustensiles de
première nécessité. Son placard était rempli de plats tout préparés à
réchauffer typiques d’un célibataire, comme les « Spaghettis Chef
Boy-Ar-Dee », et le frigo ressemblait à un mausolée pour condiments.
L’unique élément décoratif pendait au-dessus de la table : un drôle de
papier de boucherie, sur lequel était inscrite au crayon de couleur une annonce
pour une lecture publique de La Pêche à la truite. C’est en l’apercevant
que je fis le rapprochement entre le guide du pêcheur et son livre.
    Sans Price comme catalyseur, il m’aurait été difficile de me
lier d’amitié avec Richard. Il se montrait très réservé avec les inconnus. Sa
timidité l’amenait à s’adresser indirectement à ses amis, se référant à eux en
choisissant un objet qui symbolisait ce qu’il admirait en eux, le tout développé
selon un rituel comique. Ce jour-là, Price avait d’ailleurs rapporté de
Monterey l’accessoire principal d’une de leurs blagues favorites :
Willard.
    Créé à l’origine par Stanley Fullerton, un de nos amis
communs de Santa Cruz, Willard était un oiseau en papier mâché à l’allure
burlesque. Haut de plus d’un mètre, peinturluré en rouge, blanc, orange
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